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plus agitées et plus mobiles dans leurs mœurs et leurs institutions que le flot qui bat leurs rivages. » Heureusement, le Latium n’est pas tout à fait ce qu’il paraît être quand on le regarde de haut et de loin. Cette plaine qui, au premier abord, semble entièrement unie, cache des ondulations de terrain, des hauteurs et des vallées qui y rendent parfois la circulation assez incommode ; ce fleuve navigable n’est pas d’un accès facile à cause des sables qu’il charrie ; cette longue côte n’a pas de ports naturels. Il en résulte que les visites de l’étranger n’ont pas produit ici tous leurs effets ordinaires. L’influence du dehors s’y est fait sentir sans doute, mais elle a été tempérée par un fond de qualités naturelles que rien n’a pu entièrement détruire. Le goût des nouveautés et le respect des traditions s’y sont, je ne sais comment, alliés ensemble. Le commerce et l’industrie n’ont pas pris la place de l’agriculture ; la nature du sol avait fait des Latins des laboureurs, et le travail des champs a toujours été chez eux le plus honoré de tous. Mais ces laboureurs ne restent pas isolés dans leurs fermes ; ils possèdent une certaine intelligence de la vie politique, ils éprouvent le besoin d’une vie nationale. Les familles se groupent ensemble pour former des cités ; les cités se réunissent dans une alliance commune et deviennent une nation. Il n’en est pas tout à fait de même chez les peuples qui sont leurs voisins les plus proches, presque leurs frères, chez les Sabins. J’aperçois devant moi leurs montagnes qui forment une ligne sombre à l’horizon. Dans ce pays où les gens du dehors n’avaient guère d’accès, vivait une population presque sauvage de laboureurs et de pâtres, attachés résolument à leurs vieux usages, à leurs antiques croyances, et qui n’en voulaient pas changer. En fait d’organisation politique, ils restent fidèles au régime patriarcal ; l’idéal du gouvernement pour eux, c’est la famille, et ils ne sont pas arrivés, comme les Latins, jusqu’à établir des cités véritables : « Leurs villes, dit Strabon, sont à peine des bourgades. » Aussi Schwegler pense-t-il que, dans cette réunion des deux peuples qui a formé la nation romaine, chacun a eu sa part et son rôle. Les Latins représentent surtout ce goût pour le progrès, ces vues larges, ces instincts d’humanité qui sont le caractère et l’honneur des plébéiens, tandis que les Sabins, race énergique, mais étroite, sévère jusqu’à la dureté, dévote jusqu’à la superstition, ont apporté dans le mélange cet amour des anciens usages, ce respect des vieilles maximes, cet esprit de résistance et de conservation dont les patriciens sont animés. La lutte de ces deux tendances contraires, sous diverses formes, a duré six siècles et elle explique toute l’histoire romaine jusqu’à l’empire. Beaucoup de sages et de patriotes qui en ont été témoins ou victimes l’ont amèrement déplorée ; ils