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planches, avec des toits de chaume. J’en ai visité une, étroite et longue, qui ressemblait à un couloir. Elle n’avait pas de fenêtres et n’était éclairée que par les portes placées aux deux extrémités. L’aménagement était des plus simples. Au milieu, les marmites où se fait la soupe ; des deux côtés, dans des soupentes sombres, les hommes, les femmes, les enfans couchent pêle-mêle sur des tas de paille qui ne se renouvellent jamais. À peine est-on entré dans la cabane qu’une odeur fétide vous serre à la gorge ; sur la route, l’œil qui n’est pas fait à cette obscurité ne peut rien apercevoir ; on n’entend que les gémissemens des malades que la fièvre retient sur leur paille et qui se penchent pour demander l’aumône au passant. Je n’aurais jamais cru qu’un être humain pût vivre dans de pareils taudis. Au moins, à Pratica, il y a des maisons dont l’apparence est assez convenable. Elles sont vides une moitié de l’année et beaucoup trop pleines le reste du temps, mais les émigrans qui s’y pressent n’ont pas à souffrir comme ceux qui croupissent dans les baraques d’Ostie. Le petit village, en somme, n’a pas un aspect trop misérable. Il possède même, ce qui est un grand luxe, une osteria con cucina, qui reste ouverte pendant toute la saison d’hiver, et ne paraît pas manquer de cliens. Au printemps, l’aubergiste s’enfuit, comme tout le monde, ne laissant qu’un malheureux domestique, voué à la malaria, pour garder la maison. Je m’y suis trouvé, un jour de pluie torrentielle, avec quelques gens du pays, qui, faute de mieux, jouaient aux cartes. C’étaient des caporali, ou conducteurs de travaux, et leur dignité se voyait à leur costume ; ils portaient, sous leur grand manteau brun doublé de vert, une veste galonnée. Ces insignes, joints à la culotte courte et au chapeau pointu orné de plumes d’oiseaux, leur donnent un air d’acteurs de mélodrame dont ils paraissent très fiers. En les regardant, je songeais qu’assurément, en France, aucune auberge de village ne m’offrirait une collection de types pareils. Le paysan, chez nous, n’aime pas à prendre des poses de théâtre ; il a peu de souci d’attirer l’attention des indifférens ; au contraire, il est si craintif et si rusé qu’il se donnera plutôt l’air simple et innocent pour qu’on ne se méfie pas de lui. Il faut se garder de le juger tout à fait à la mine et de le croire aussi sot qu’il semble l’être. Ceux d’ici n’ont pas le même caractère. La nature leur a donné un air farouche, et ils ajoutent volontiers à la nature. On dirait qu’ils tiennent à faire peur et à paraître plus brigands encore qu’ils ne le sont. Quoi qu’il en soit, on trouve rarement chez eux des figures vulgaires ; il suffit de les regarder pour être convaincu qu’ils appartiennent à une race énergique et intelligente. Comme ils viennent presque tous de l’Apennin ou des hauteurs voisines, je