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parti de la quitter et d’aller en fonder une nouvelle sur le mont Albain, entre la montagne et le lac.

Il n’y a qu’un seul chemin pour entrer à Pratica ; c’est probablement le même que suivait le cortège des consuls et des préteurs quand ils venaient de Rome accomplir quelque cérémonie sacrée au temple des Pénates. La route, après avoir contourné un moment le village, y monte brusquement par une rampe assez rude et y pénètre en passant sous une porte qui pourrait être aisément défendue. Tout ici, on le voit bien, est préparé pour offrir un asile sûr à quelques laboureurs qui veulent se mettre à l’abri des pillards. La même cause explique la fondation de Lavinium et celle de Pratica : les gens qui, après la ruine de l’ancienne ville, se sont réunis de nouveau sur cet étroit plateau et l’ont entouré de murailles, voulaient échapper aux incursions des pirates barbaresques, qui, jusqu’à la prise d’Alger, n’ont cessé d’infester ces rivages. Le soir venu, les laboureurs s’empressaient de quitter la plaine, remontaient dans leur petite enceinte fortifiée, et, la porte une fois bien fermée, ils pouvaient au moins y dormir en paix. On croit que le village de Pratica, dont le nom commence à paraître au IXe siècle[1], a été plusieurs fois, dans le cours du moyen âge, abandonné et rebâti. Sous sa forme actuelle, il ne remonte pas au-delà de deux ou trois siècles. Il ne contient qu’une place et quelques rues un peu moins sales que celles des autres villages italiens. La place, qui est régulière et assez grande, a été ornée de quelques débris d’antiquité : ce sont les titres de noblesse du petit village. On y voit des chapiteaux de colonnes, des fragmens de statues, des inscriptions en l’honneur d’Antonin et de Galerius, enfin une sorte de piédestal sur lequel on lit ces mots : Silvius Æneas, fils d’Énée et de Lavinie. Si ce monument n’a pas été fabriqué par un amateur du XVIe siècle, ce qui est bien possible, il devait être la base de quelque statue qui ornait le forum de Lavinium. Un des côtés de la place est formé par la façade d’une grande maison, qui n’a aucune prétention à l’architecture ; c’est le palais des Borghèse. Pratica leur appartient depuis près de trois cents ans et constitue l’une de leurs plus importantes baronies.

Ce n’est pas que le village soit fort peuplé : à peine y compte-t-on sept ou huit familles qui osent y demeurer toute l’année. Le reste de la population est nomade et se compose de paysans qui descendent, pendant l’hiver, de la montagne pour retourner chez eux

  1. La forme primitive de ce mot parait avoir été Patrica. Nibby pense que ce nom doit être dérivé de celui du Pater indiges, c’est-à-dire d’Énée, qu’on honorait surtout à Lavinium. Sous le nom moderne, ce serait la ville d’Énée, civitas Patris.