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naturellement les plus zélés pour le culte des dieux ou les plus amis des anciennes traditions qui tenaient surtout à s’occuper d’elle, par exemple le bon Antonin, qui témoigna toute sa vie tant de respect pour les vieux souvenirs de Rome, ou Galerius, l’ardent persécuteur des chrétiens. On trouve encore, dans la correspondance de Symmaque, le dernier des païens, une marque d’affection donnée à cette ville, qu’il appelle religiosa civitas. À ce moment, le christianisme était victorieux, l’invasion approchait, et Lavinium allait entièrement disparaître avec le culte des Pénates.

Il ne reste aujourd’hui plus rien de l’ancienne ville, et son nom ne se retrouve plus sur la carte. On peut dire pourtant avec certitude où elle était située. Les savans s’accordent à croire qu’elle a été remplacée par le village de Pratica, et tout prouve qu’ils ont raison. Comme Lavinium, Pratica est à 16 milles (24 kilomètres) de Rome, à 24 stades (4 kilomètres) de la mer, à peu près à mi-chemin entre Ostie et Antium. En remuant le sol par hasard, on y a découvert beaucoup de débris antiques qui prouvent que, sur cet emplacement, a dû s’élever autrefois une ville de quelque importance, et, comme ces débris sont tantôt des fragmens de vases qui appartiennent à de vieilles fabriques, tantôt des morceaux de marbre et de porphyre qui rappellent les époques les plus somptueuses, Nibby en conclut que cette ville devait remonter aux temps les plus anciens et qu’elle existait encore sous l’empire. Enfin des inscriptions assez nombreuses ont été trouvées à Pratica ou dans les environs, et quelques-unes portent le nom de Lavinium, ce qui achève de lever tous les doutes.

Pratica occupe un plateau de médiocre étendue, qui, de presque tous les côtés, se dresse à pic sur la plaine. Quand on en a fait le tour et qu’on a vu du dehors combien les maisons du village, solidement appuyées sur le roc, sont d’un accès difficile, on se rend compte aisément des raisons qu’Énée pouvait avoir de bâtir sa ville en cet endroit. Il s’y trouvait en sûreté contre les attaques imprévues des Rutules ou des Volsques, de tous ces peuples dont Virgile nous dit que c’était une habitude et un plaisir pour eux de vivre de rapines :


semperque récentes
Convectare juvat prædas et vivere rapto.


D’un autre côté, l’étroitesse du plateau explique qu’il n’ait pas pu longtemps suffire à une population qui, dans les premiers temps, ne cessait de s’accroître. On n’a qu’à jeter les yeux sur Pratica pour comprendre le récit de Tite live, qui nous dit qu’Ascagne, voyant que la ville de son père ne pouvait guère s’étendre, prit le