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leurs progrès comme Napoléon eût parlé de la grande armée. Voilà un homme à qui je confierais de grosses tâches ; il a les trois vertus du succès, la foi, l’amour et l’espérance ; il trouve très grand son petit empire et s’y trouve bien ; c’est le signe des forts. O Russie, ne décourage pas ceux-là ! Il t’en faut beaucoup pour avancer sur tes longues routes !

Ils ne sont pas si rares ; les hommes ne manquent pas plus que le fond dans ce pays. J’en vois beaucoup qui tiendraient partout une place distinguée, parmi ces ingénieurs, ces officiers, qui se succèdent tout le jour dans notre wagon. D’autres nous accueillaient tout à l’heure au cercle de Lougansk ; ils discutaient avec sens et mesure les intérêts de leur région. Un de nos compagnons, un capitaine de gendarmerie qui paraît fort populaire dans la contrée, nous a introduits dans cette réunion ; on y fête notre passage avec un petit vin de Champagne du Don qui porte bravement le nom glorieux dont il s’affuble. Une particularité du cercle de Lougansk, c’est de compter trois femmes parmi ses membres ; l’une d’elle est, dit-on, la plus forte joueuse de whist du district. Voilà encore un trait de l’Amérique.


Zouïefka.

Repartis de Lougansk, nous suivons la voie méridionale du réseau minier, nous passons du gouvernement d’Ékatérinoslaf dans la « Terre des Cosaques du Don, » qui s’étend entre ce gouvernement et la mer ; voici Kharzyskaïa, où nous devons visiter les plus importantes mines du bassin. Elles appartiennent à un jeune propriétaire, M. I…, qui descend d’une famille de gentilshommes cosaques et porte un nom fameux dans les annales des tribus du Don. Notre hôte vient à notre rencontre en uniforme d’ingénieur de l’état ; il sert effectivement dans ce corps depuis sa sortie de l’École des mines. M. I… me permettra d’ajouter qu’il possède cinq puits de houille, donnant annuellement 10 millions de pouds de minerai, une terre de 25 verstes de long, où 12,000 hectares sont cultives en blé, un haras de cinq cents chevaux, le plus célèbre haras de courses de l’empire. Le maître de cette fortune, je le répète, sert l’état comme ingénieur. Voilà un exemple dont la Russie peut tirer vanité et qui est bon à méditer par tous pays.

Une locomotive prend notre wagon et l’entraîne sur la ligne particulière construite par M. I… pour charrier son charbon. Chemin faisant, notre guide nous donne les renseignemens techniques les