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chemins de fer du Donetz et siège de leurs ateliers. N’étaient les coupoles vertes des églises, on pourrait se croire déjà dans le Levant en voyant ces maisons de pierre blanche, ces jardins fruitiers défendus par des murs de cailloutis, ce paysage de roches et de côtes arides qui encadre la ville. Quelle profusion de pierre ! Je n’en ai pas vu autant dans tout le reste de l’empire, et voilà pourquoi Lougansk n’a pas l’air d’une bonne cité orthodoxe, bâtie de terre et de bois. Les ateliers de la compagnie et la fabrique de munitions de guerre appartenant à l’état font vivre une population de quatre à cinq mille ouvriers. Cette fabrique a été fondée par Catherine en 1793 pour utiliser les chutes d’eau de la rivière ; il n’y a pas vingt ans que la vapeur y a remplacé l’eau. Les hauts fourneaux travaillent avec la houille et le fer du Donetz. On nous fait visiter en détail les travaux de l’arsenal, la fonte et l’assemblage des bombes, des obus, des boîtes à mitraille. Il y a quelque chose de risible à voir tous ces hommes affairés, préparant avec tant de science et de labeur les engins délicats qui mettront en morceaux leurs semblables. Dans un des ateliers, on façonne à temps perdu divers ouvrages en fer ; nous y apercevons une plaque tombale, commandée par un particulier ; ceci pourrait s’appeler le comble de la prévoyance : une fabrique d’obus qui fournit aussi les dalles sépulcrales.

Je fais grâce au lecteur de l’inspection dans les chantiers de la compagnie ; une seule chose y mérite notre attention : l’école des arts et métiers. Le gouvernement russe, très heureusement inspiré, a stipulé, dans le cahier des charges de chaque compagnie, l’obligation pour elle d’entretenir une école d’arts et métiers auprès de ses ateliers. C’est fort bien, ces grandes voies qui portent dans le pays la fécondation morale avec la fécondation industrielle. Le chemin du Donetz a son école à Lougansk ; elle est admirablement installée ; nous sommes loin du wagon pédagogique de Débaltzevo. Je trouve dans la bibliothèque la moelle de la littérature russe ; dans les classes, de bons modèles pour tous les travaux d’art décoratif. L’école compte soixante-dix élèves des deux sexes ; elle les garde trois années moyennant une très faible rétribution. Les débutans s’exercent à des travaux manuels dans l’atelier de menuiserie ; les plus avancés dressent des plans de machines ou dessinent, quelques-uns fort bien, ma foil De jeunes personnes font de la peinture céramique, de la broderie. Le directeur de l’école est un tout jeune homme, récemment sorti de l’Institut technologique de Moscou ; c’est plaisir de voir avec quel feu, quelle intelligence ce brave cœur s’est attaché à son œuvre. Il nous expose les difficultés de détail, la façon dont il les résout ; il parle de ses élèves et de