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malgré toutes les précautions prises, Garibaldi avait su échapper à la surveillance de trois bâtimens de guerre et qu’il était parti pour Tours. L’Italie était délivrée de la révolution et elle pouvait affirmer devant l’histoire qu’en 1870 son sang avait coulé pour la France.


XX

M. Visconti-Venosta et M. Lanza, le président du conseil, conféraient fréquemment avec M. Senard ; ils l’écoutaient avec sympathie, ils discutaient les idées qu’il leur exposait, mais lorsqu’il cherchait à les mettre au pied du mur, ils l’arrêtaient par des objections qui n’étaient pas sans valeur. « Que sont vos armées ? disaient-ils ; quel est votre général ? Quelle est votre base d’opération pour risquer une pointe sur le Rhin ? » En gens pratiques, décidés à ne rien faire, ils prétendaient qu’il fallait de longues et sérieuses études avant de risquer les entreprises qu’il leur recommandait. Ils invoquaient aussi des obligations constitutionnelles, la nécessité de convoquer le parlement et l’obligation, bien plus difficile, de le convaincre.

M. Senard avait conservé un précieux souvenir de sa réception au palais Pitti. Il aurait voulu y retourner, mais le roi était peu accessible, et le représentant de la république n’avait plus rien à lui apprendre : il avait vidé son sac dès le premier jour. Victor-Emmanuel savait que la France passait une éponge sur la convention du 15 septembre et qu’elle applaudissait des deux mains à la chute du pouvoir temporel. Il n’en demandait pas davantage. Cependant, lorsqu’il apprit que M. Thiers, qui parcourait l’Europe, allait paraître à Florence, il fit mander M. Senard. Il comptait le sonder et apprendre ce qu’on avait dit à Vienne et surtout à Pétersbourg ; mais il eut beau l’interroger, l’envoyé resta impénétrable.

Ce fut au roi de s’expliquer. Il était embarrassé, disait-il, entre son désir personnel et les difficultés qu’il rencontrait ; c’était pour lui dans le présent une question d’honneur, et pour l’avenir une question de sécurité. Il appréciait notre situation militaire, il étudiait nos notes et nos renseignemens, mais il doutait de l’armée de Gambriels ; s’il pouvait compter sur sa solidité, et s’il était bien exactement renseigné sur l’ensemble de nos ressources, ce n’est pas 60,000 hommes, — ils seraient insuffisans, — mais 150,000 hommes qu’il mettrait à notre disposition. Mais ce qui le préoccupait avant tout, c’était la Russie, il la croyait défavorable, et il ne pouvait rien entreprendre sans être fixé sur ses dispositions.

M. Senard sortit du palais Pitti fort satisfait. « Je crois avoir bien préparé par cette audience, écrivait-il, le terrain à M. Thiers. »

M. Senard attendait M. Thiers comme les juifs attendent le