Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déplaisir présider à ces enrôlemens. Elle savait que beaucoup de ces volontaires cosmopolites, avant de s’offrir à la France, s’étaient offerts à la Prusse. Elle estimait que c’étaient des hôtes incommodes et d’autant plus dangereux que des idées sécessionnistes se manifestaient dans le Midi. Il était permis de craindre que la présence de bandes indisciplinées, à Nice et à Lyon, ne provoquât des soulèvemens[1].

M. Senard ne partageait pas ces craintes ; il pensait, — et les membres de la défense nationale étaient pour la plupart de cet avis, — que le seul moyen de s’assurer les sympathies de l’Italie, c’était de l’associer, serait-ce d’une façon irrégulière, à la guerre. Il croyait aussi, et en cela il n’avait pas tort, qu’il était d’un grand intérêt de soustraire Garibaldi à l’influence de ses amis de l’extrême gauche, qui pactisaient ouvertement avec la Prusse[2].

La question était complexe, controversable. Elle ne l’était pas moins pour le gouvernement italien. Si l’émigration en masse des élémens révolutionnaires lui permettait de s’assurer à Rome, aux yeux de l’Europe, le bénéfice de la modération, elle autorisait, en revanche, la Prusse à le rappeler au respect de la neutralité, qu’il violait à certains égards, en n’empêchant pas ses sujets de combattre dans les rangs de son adversaire.

Le problème était délicat, il n’était pas insoluble pour la politique florentine.

On décréta des ordonnances sévères, on entrava ostensiblement les embarquemens des volontaires sur tout le littoral, on envoya des croiseurs devant Caprera. Mais, à la veille de l’entrée des troupes à Rome, le 18 septembre, on apprit inopinément que,

  1. « Nous vous prions, écrivait M. Chaudordy à M. Senard, le 28 septembre, de vous occuper moins de Garibaldi. Évitez-nous de nouveaux embarras et faites en sorte, avec votre bienveillance habituelle, que Garibaldi et garibaldiens restent en Italie. Nous vous en prions instamment. Garibaldi est d’ailleurs à Caprera. — Garibaldi n’est plus gardé à Caprera, répondait M. Senard ; il doit être en route pour Tours, ménagez lui une grande réception. Notre froideur, voisine du dédain, étonne. Sineo nous rappelle l’engagement pris avec Gambetta et Arago. « — M. Glais-Bizoin dit dans ses Souvenirs : « Un de nos amis était allé à l’insu de la Délégation à Caprera, d’où il avait ramené le général dans une barque. L’annonce de son débarquement causa un grand ennui à Chaudordy ; il craignait que l’intervention des garibaldiens ne nous enlevât les sympathies de l’Autriche et de la Russie. J’estimais au contraire qu’il fallait le faire venir à Tours et lui ménager une brillante réception. Il fut acclamé par la garde nationale, qu’il passa en revue. » Le même jour, quelques heures plus tard, la délégation passait en revue les volontaires de Charette !
  2. M. Thiers approuva les enrôlemens lorsqu’il vint à Florence. « M. Thiers, écrivait M. Senard, pense avec moi que le développement du mouvement garibaldien doit exalter en Italie les sympathies pour la France, embarrasser les députés de la gauche restés hostiles et entraîner le gouvernement avec nous. Il voudrait donc voir accorder sans conditions les frais de transport aux volontaires. »