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s’entendrait avec l’église et couvrirait le saint-siège de sa protection. La réponse-à la lettre du saint-père se fit longtemps attendre, elle n’était pas ce qu’on rêvait. Cela n’empêchait pas M. d’Arnim de s’agiter et de se mêler des événemens plus que ne le comportait sa charge. Il allait du Vatican au quartier-général, à la villa Spada, pour demander un armistice ou du moins des tempéramens, au général Cadorna. Il se posait en intermédiaire, sans avoir reçu de mandat de personne. On se demandait quels étaient ses mobiles. Cédait-il à sa nature, qu’on savait remuante, tortueuse, ou bien exécutait-il une consigne ?

Le jeu de la Prusse était difficile à démêler ; les Italiens eux-mêmes avaient peine à le déchiffrer. Ce qui est certain, c’est que M. de Bismarck s’efforçait de nous supplanter sur le terrain où, toujours, nous avions été prépondérans, soit qu’il voulût faire comprendre aux Italiens qu’il ne dépendait que de lui de les arrêter aux portes de Rome, soit qu’en endormant le Vatican, il voulût empêcher le pape de devenir l’auxiliaire de la France catholique aux prises avec la Prusse protestante[1].

La question du départ avait été agitée dans les conseils du Vatican, dès l’entrée des troupes italiennes. Le pape devait, en montant à bord, lancer contre le roi Pedemontanus et gubernium ejus, l’excommunication majeure. C’était l’avis des jésuites. Toutes les puissances avaient cru de leur devoir d’offrir un asile au souverain pontife. L’Angleterre proposait Malte ; la Prusse, Fulda ; l’Autriche, Inspruck ; la France, la Corse. Toutes, cependant, n’y avaient pas mis la même ardeur ni le même empressement. Le chargé d’affaires d’Angleterre avait, le premier, reçu l’ordre de mettre la frégate la Défense à la disposition du pape ; mais on lui recommandait de ne prendre aucune initiative, d’attendre qu’on lui parlât de Malte[2]. L’empereur François-Joseph proposait le Tyrol, tout en engageant le saint-père de tenir bon et de ne partir qu’à la dernière extrémité. M. Favre mettait l’Orénoque aux ordres du saint-siège ; notre chargé d’affaires ne devait offrir la Corse qu’en désespoir de cause[3].

  1. M. de Thile, le sous-secrétaire d’état au ministère des affaires étrangères à Berlin, atténuait les démarches de M. d’Arnim lorsqu’il était interpellé par le ministre d’Italie. Il prétendait que sa visite au quartier-général ne lui avait pas été prescrite ; qu’il l’avait faite d’initiative, afin de conjurer une effusion de sang.
  2. L’installation du pape à Malte paraissait être une idée fixe des Anglais. Lord Russel l’avait proposée en 1860, et depuis, chaque fois que Pie IX était menacé, la diplomatie britannique mettait Malte à sa disposition.
  3. Le cardinal Antonelli fit demander au gouvernement français en prévision d’une aggravation dans la situation du pape, de réclamer au cabinet de Florence la garantie pour le saint-père de pouvoir s’éloigner de Rome en toute liberté, par voie de terre ou par voie de mer, à son choix, s’il le jugeait nécessaire.. Cette autorisation lui fut accordée.