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Le comte de San-Martino fut reçu, dès son arrivée, par le cardinal secrétaire d’état et par le pape. Il les informa que les résolutions du gouvernement italien étaient arrêtées, que celui-ci était décidé à prendre possession de l’état de l’église, y compris la ville de Rome. Il leur demanda de ne pas s’y opposer par les armes. Il essaya de justifier les déterminations du gouvernement par la certitude qu’il avait acquise que les révolutionnaires de Paris, sous l’inspiration de M. Cernuschi[1], et d’accord avec les révolutionnaires italiens, cherchaient à proclamer la république en Italie.

Le cardinal Antonelli répondit que le saint-siège ne pouvait admettre de pareils argumens pour se laisser dépouiller d’une souveraineté que rien n’était venu menacer sur aucun point de l’état pontifical, malgré la pression exercée depuis un mois sur l’opinion publique par la présence de 40 à 60,000 hommes de troupes sur les frontières[2]. Il ajouta que le gouvernement du saint-père ne se prêterait pas à une transaction qui consistait à laisser au pape la cité Léonine, sur la rive droite du Tibre, et qu’il ne céderait pas sans combattre. « Il ne faut pas, dit-il, en congédiant l’envoyé du roi, que le gouvernement italien s’attende, de la part du saint-père, à aucun acte qui pût être interprété comme un assentiment tacite du spolié aux résolutions du spoliateur. »

M. de San-Martino quitta Rome le 12, et l’armée italienne franchit aussitôt, sur plusieurs points, la frontière romaine. Les troupes du saint-siège se replièrent ; seul, un corps de zouaves de 120 hommes, commandé par un capitaine français, se défendit vaillamment à Cività Castellano. Le général Kanzler avait établi des défenses ; mais Pie IX voulait éviter l’effusion du sang ; il tenait uniquement à constater à la face du monde que la violence avait précédé l’occupation. Les portes restèrent fermées, barricadées. Le général Cadorna dut les enfoncer à coups de canon. Le 20, on arborait le drapeau blanc sur la coupole de Saint-Pierre et sur le clocher de Saiute-Marie-Majeure, et à midi le général Vadorna faisait son entrée à Rome au milieu d’une population surchauffée qui lui jetait des fleurs et des couronnes[3].

  1. « Trois hommes, écrivait M. Cernuschi dans le Siècle, ont fait le royaume de Victor-Emmanuel : Mazzini, Garibaldi, Napoléon III. Mazzini est en prison, Garibaldi est bloqué à Caprera, et Napoléon a perdu sa couronne. »
  2. La majorité de la population romaine voulait s’annexer à l’Italie, mais elle désirait conserver l’autonomie de Rome, avec une garnison italienne, car elle redoutait les bandes garibaldiennes et protestait contre le régime ecclésiastique. Le clergé séculier et même quelques cardinaux étaient partisans d’une transaction.
  3. « Les Italiens, disait une proclamation du roi, sont maîtres de leurs destinées après leur dispersion pendant des siècles, dans la ville qui fut la capitale du monde. Ils sauront tirer des restes de leur grandeur l’augure d’une grandeur nouvelle et couronner de leur respect le saint-siège, cet empire spirituel qui arbore ses pacifiques enseignes là même où les aigles romaines n’étaient pas arrivées. »