Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/530

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XIV

Le 24 août, un train spécial amenait le prince Napoléon à Florence ; c’était au lendemain de l’investissement de Metz. Il apparaissait comme l’image de la défaite. Le sentiment général fut celui de la stupeur ; sa présence parut étrange, inopportune, compromettante. Il venait, intempestivement, rappeler à son beau-père une dette d’honneur ; mais l’Italie se souciait peu, à cette heure, du passé, elle escomptait l’avenir ; elle se détournait de la France, ses regards se portaient sur Rome ; elle allait couronner son œuvre, tandis que l’empire s’écroulait. C’est à cela qu’avait abouti la politique chimérique des nationalités et du césarisme révolutionnaire dont le prince Napoléon s’était obstinément constitué l’apôtre passionné. Quel enseignement ! quel sujet de larmes et de colère !

Le prince n’avait que des instructions verbales. L’empereur s’était borné à lui remettre un passeport signé de sa main et contre-signé par le maréchal Mac-Mahon. Le passeport constatait que le prince Jérôme-Napoléon était envoyé en mission extraordinaire à Florence pour le service de sa majesté impériale[1]. Il répugnait sans doute à l’âme si délicate et si généreuse de Napoléon III d’embarrasser Victor-Emmanuel en lui rappelant directement les titres qu’il avait à son assistance. Peut-être aussi était-il convaincu que son appel ne serait pas écouté.

La mission du prince était vague, mal définie. Il venait pour se rendre compte des dispositions des Italiens ; il espérait modifier l’attitude du gouvernement du roi ; il avait tout à demander et rien à offrir. Il conféra avec les principaux ministres, il leur rappela les souvenirs du passé, il leur signala les dangers de l’avenir. Invité à motiver ses demandes, le prince entra dans des considérations stratégiques pour démontrer au ministre de la guerre qu’un corps d’armée pourrait sans danger, sans rencontrer de résistance, sauver la France en pénétrant inopinément en Allemagne, avec Munich comme objectif.

C’était mal connaître les Italiens que de croire qu’ils lâcheraient la proie pour l’ombre et se jetteraient, pour nous tirer d’embarras, tête baissée, à notre suite, dans une périlleuse aventure. Le prince avait négligé de se pénétrer des instructions de Mazarin et du testament de Richelieu, mais comment n’avait-il pas médité Guichardin,

  1. « Ordre de requérir pour le prince Jérôme Napoléon, chargé d’une mission spéciale en Italie pour le service de l’empereur, la protection des autorités civiles et militaires. »