Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une importance capitale, que le chancelier de l’empire adressait à son ambassadeur à Paris. Le comte de Beust exposait avec une grande netteté les cruels embarras que lui causait une guerre aussi soudainement déclarée. Il protestait de sa fidélité ; il s’expliquait aussi sans détours sur la question romaine en préconisant une solution radicale et immédiate. « Le jour où les Français sortiront des états pontificaux, disait-il, il faudrait que les Italiens pussent entrer de plein droit et de l’assentiment de la France et de l’Autriche. Jamais flous n’aurons les Italiens avec nous de cœur et d’âme si nous ne leur retirons pas leur épine romaine. Et franchement, ne vaut-il pas mieux voir le saint-père sous la protection de l’armée italienne que de le voir en butte aux entreprises garibaldiennes ? La France, en nous laissant l’honneur de résoudre la question romaine, nous faciliterait beaucoup la tâche à Florence. Elle ferait plus : en faisant un acte d’un incontestable libéralisme, elle enlèverait une arme à son ennemie et elle opposerait une digue à ces ébullitions de teutonisme que la Prusse, protestante par excellence, a su faire naître en Allemagne et que nous craignons doublement à cause de la contagion.

C’était demander à la cour des Tuileries une évolution audacieuse qui répugnait à sa conscience et à son tempérament. M. de Beust ne l’ignorait pas, mais il lui importait de colorer son inaction et de préparer sa défection.

M. de Gramont ne fit pas attendre sa réponse à cette communication qui, sous les dehors d’une absolue franchise, cachait des arrière-pensées mal dissimulées. Elle était résolument négative. Il télégraphiait aussi à M. de Malaret : « Si c’est l’entrée des Italiens à Rome après le départ de nos troupes que l’on demande, c’est impossible. Nous en avons prévenu Vienne. Dites-le sans ambages. Nous demeurerons fidèles à la convention du 15 septembre ; nous avons déjà notifié au saint-siège le départ de nos troupes. »

A la date du 30 juillet, notre ministre des affaires étrangères parlait encore haut et ferme. Il opposait des refus catégoriques à tous ceux qui, de près ou de loin, officiellement ou secrètement, s’efforçaient de nous engager dans la voie des transactions sur la question du pouvoir temporel. Il donnait l’ordre au prince de la Tour-d’Auvergne, notre ambassadeur à Vienne, de dire au général Türr qu’il nous était impossible de faire la moindre concession au sujet de Borne. « Si l’Italie ne veut pas marcher, ajoutait-il, qu’elle reste[1] ! »

  1. Le général Türr avait de nombreuses attaches en Italie ; il mit son influence spontanément au service de la France. Voici ce qu’il écrivait de Florence au duc de Gramont le 27 juillet : « A peine arrivé ici, je suis allé voir les ministres et les hommes marquans des différend partis. J’ai dû me convaincre et je dois dire à Votre Excellence que, si on désire entraîner l’Italie promptement dans une action, il faut faire quelque chose de plus quant à la question de Rome, car la convention de septembre expliquée par M. Drouyn de Lhuys, au lieu d’un bien, est une complication pour le gouvernement italien… On comprend que la France ne puisse pas livrer le pape pieds et poings liés, mais le gouvernement de l’empereur ne pourrait-il pas donner de secrètes promesses à l’Italie, afin que celle-ci soit à même de dire au pays que la question nationale italienne aura sa parfaite solution avec la guerre ? Le gouvernement, rassurant la nation, pourrait l’entraîner tout entière avec promptitude… Le ministre de la guerre a beaucoup goûté mes paroles et me dit que cela serait superbe si on pouvait mettre d’accord tous ces mouvemens ; je lui répétais : Volere e potere, dunque voliate ; une forte décision prise par le gouvernement fera évanouir toutes difficultés. Sachant que Votre Excellence est très occupée, je passe sous silence les mille intrigues secrètes suscitées par les Prussiens. Je pars ce soir pour Vienne ; — E. TURR. »