Les fleurs réussissaient bien dans son petit parterre, et c’était le seul dernier plaisir qui n’avait pas trompé son attente.
Les retours de navires, les tapages que les matelots font la nuit par les rues et leurs chants dans le lointain, toutes ces fêtes des jeunes, auxquelles pourtant il avait cessé depuis bien des années de se mêler, étaient maintenant des espèces de rappels douloureux qui l’agitaient sur son lit dans ses insomnies. Il lui arrivait de se lever et d’ouvrir sa fenêtre pour tendre l’oreille au vent de minuit, qui lui apportait, par-dessus les ajoncs et les bruyères, la clameur de Recouvrance.
Au début, les printemps aussi le troublaient un peu; mais c’était une mélancolie encore plus vague, c’était comme la souffrance de ne pas se souvenir… Ces premières journées tièdes de mai lui faisaient repenser à l’extrême Asie, le pays où il avait le plus vécu, le plus donné de sa vie aux femmes. Et pendant ces nuits de rosée, où les oiseaux chantaient, des créatures jaunes venaient le visiter quelquefois; à demi effacées, elles marchaient devant lui dans leurs tuniques collantes, en se balançant, comme là-bas chez elles, avec une mignardise chinoise; elles lui envoyaient des sourires de chatte moqueuse, en se retournant sous leur parasol plat à mille plissures, semblable à une ombelle de champignon. C’étaient des femmes qu’il avait connues quelque part assurément, il s’en souvenait; mais qu’est-ce qu’elles pouvaient bien lui vouloir? Elles disparaissaient et il ne s’inquiétait pas de les suivre.
Pourtant un soir il lui était arrivé de s’habiller précipitamment sur les neuf heures, et de s’en aller à Brest, une grosse cannera la main, en marchant vite et la tête basse, comme qui s’en va faire une inavouable visite. Et là, dans le bout de la rue Saint-Yves, il en avait revu, des belles, qui n’étaient pas jaunes, qui ne portaient pas des parasols ni des jupes de crépon à chimères brodées, mais qui disaient des choses obscènes avec un enrouement immonde. Alors il s’en était revenu, épuisé et honteux, et à partir de cette soirée, il avait gardé à jamais la pudeur et la dignité de sa vieillesse.
Les étés, il cultivait des plantes grimpantes qu’il faisait courir sur sa maisonnette basse et qui lui rappelaient les lianes; il arrangeait devant sa porte un petit berceau qui avait un air de vérandah. Et c’était une de ses joies que ces deux ou trois jours par an, où il faisait assez chaud pour prendre l’habit de nankin et l’éventail en feuille de palmier, — comme dans ces régions exotiques que jamais ses yeux ne devaient plus voir.
A la mi-juillet, il y avait chaque année un grand pardon, au-delà du Portzic, au village de Sainte-Anne, et ce jour-là une foule gaie passait du matin au soir comme une procession à bâtons rompus, où les matelots dominaient. Il y songeait longtemps d’avance, à ce