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Il portait des boucles à ses oreilles et se tenait très droit. On voyait qu’il était usé, usé jusqu’à la moelle, mais d’une usure particulière, d’une vieillesse qui n’était pas celle de tout le monde ; il était impossible, en le regardant, de lui donner un âge.

Pour les rares promeneurs, pour les ouvriers qui s’en revenaient de Brest, le soir, après leur travail, jamais il ne relevait la tête. Seulement, quand passait un col bleu, une figure de matelot, il semblait intéressé ; il s’avançait pour voir, et il suivait des yeux cette silhouette dégagée et dandinante qui s’en allait se découpant sur les lointains gris de la mer.

Des deux côtés, vers Brest et vers Le Portzic, le chemin fuyait en montant et semblait finir tout court sur les vides brumeux de la rade et du ciel ; les passans surgissaient par un bout et puis disparaissaient par l’autre, en ayant l’air de s’abîmer. On avait autour de soi des blocs de granit, des bruyères et des épines; et là, même aux portes de la grande ville, on commençait à sentir le je ne sais quoi d’âpre et de mélancolique du pays breton.

L’été, par les vrais beaux jours, il apportait dans son petit jardin un perroquet du Gabon, gris, à queue rouge, dont le bâton était en bois des îles, et qui avait pour mangeoires des moitiés de coco. Il témoignait beaucoup de sollicitude à ce vieil oiseau, qui restait taciturne sur son perchoir, dans une pose caduque.

Si, par hasard, il faisait un peu chaud, tous deux semblaient revivre. Le perroquet parlait; sans remuer toujours, il répétait d’une voix de ventriloque des injures de bord. L’homme, comme si on eût été en pays tropical, mettait de l’eau à rafraîchir dans une gargoulette d’Aden, s’habillait d’un paletot en nankin de coupe chinoise, et s’éventait avec une feuille de palmier.

Quand les fenêtres étaient ouvertes, on apercevait, à travers les branches d’une véronique arborescente, un coin de ce ménage de solitaire qui était propre et aussi bien rangé que par les mains d’une femme très soigneuse; il y avait sur la cheminée deux potiches, deux magots, des coquillages et différens objets exotiques.

En juin et en juillet, un pâle soleil oblique entrait furtivement, sur le soir, et semblait s’attarder en retrouvant là ces choses.

Ensuite, après la mélancolie de ces étés courts, les brumes sombres revenaient, pendant de longs mois, tout envelopper et tout obscurcir.

Les gens qui, depuis longtemps, demeuraient aux environs, se rappelaient avoir VII, dix ans auparavant, arriver ce vieux. C’était déjà un homme fini, bien que ses yeux fussent alors un peu moins éteints, son collier un peu plus noir. Il s’était installé seul, arrangeant tout avec un soin égoïste, comme pour une existence encore très longue.