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d’une manière sensible le caractère général de cette manifestation d’opinion. Or quels sont les résultats de ce scrutin allemand? Ils ne laissent pas d’offrir des particularités curieuses et ils sont dans tous les cas, assez peu décisifs. Les catholiques du centre, avec lesquels M. de Bismarck est obligé de compter, qu’il ménage ou qu’il dédaigne tour à tour, reviennent avec leur bataillon ordinaire de plus de cent membres et forment le groupe le plus compact, toujours prêts à mesurer leur opposition ou leur concours aux concessions qui leur seront faites dans les affaires religieuses. Les conservateurs de tradition, qui, le plus souvent, suivent le chancelier comme leur chef naturel et qui sont loin de se confondre avec le centre catholique, ont eu des avantages assez marqués; ils ont gagné bon nombre de sièges, sans former néanmoins une majorité suffisante pour soutenir une politique. Les nationaux-libéraux ralliés dans ces dernières années au gouvernement, et passablement désorganisés, ont eu beaucoup moins de succès; ils ont eu de la peine à garder un médiocre contingent, avec lequel ils ne peuvent jouer qu’un rôle effacé. Les plus maltraités dans la dernière lutte sont les nationaux-libéraux qui se sont séparés du chancelier et qui, en s’alliant avec les progressistes, ont formé depuis quelque temps ce qui s’est appelé le « parti libéral allemand. » Ceux-là ont éprouvé un vrai désastre; à Berlin même, ils n’ont pu garder leur ancienne position. Leurs chefs, M. Virchow, M. Richter, ont été tenus en échec par des candidats inconnus. Libéraux et progressistes ont vu marcher contre eux, dans une espace de coalition bizarre, les socialistes, les conservateurs, les antisémites, qui commencent à avoir leur représentation. Ce qu’il y a de plus frappant peut-être dans ces dernières élections allemandes, c’est le succès des socialistes, succès relatif encore bien entendu, mais déjà assez caractéristique, surtout à Berlin même. Lorsqu’ils ont commencé à se mêler aux luttes électorales, les socialistes réunissaient à peine quelque soixante voix dans la capitale prussienne. Peu après, dans les élections pour le premier parlement de l’empire, en 1871, ils avaient 2,000 voix. En 1881, ils étaient arrivés à 30,000. Hier, ils t)ut rallie 68,000 voix à Berlin. Dans l’ensemble des élections allemandes, ils ont eu pour eux 700,000 suffrages. Les socialistes ne seront pas sans doute encore assez nombreux pour former un groupe redoutable dans le Reichstag; ils seront pourtant au nombre de vingt à vingt-cinq, et c’est déjà un phénomène singulier, inattendu, qui a causé une certaine émotion mêlée de quelque stupeur à Berlin.

A voir de près ce nouveau parlement de l’Allemagne dans sa composition, on peut dire que, sauf quelques nuances, sauf surtout le succès imprévu des socialistes, il ressemble à celui qui l’a précédé. Aujourd’hui pas plus qu’hier, il n’y a une majorité dont un gouvernement puisse se servir; il n’y a que des partis morcelés, impuissans, et cette