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millions de pensions pour les victimes de décembre, etc., sans compter le budget extraordinaire. Bref, on a réussi à augmenter, en quelques années de paix, les dépenses publiques plus qu’on n’avait dû les augmenter pour suffire à la liquidation d’une guerre désastreuse. Et c’est ainsi que les monarchies sont visiblement la cause de tout le mal, que la politique républicaine n’est pour rien dans ces embarras d’où on ne sait plus comment se tirer, parce qu’on craint de s’avouer la vérité.

Ce que le rapporteur du budget n’a pas fait pour l’honneur de cette vérité, les conservateurs de la chambre, que l’esprit de parti n’admet même pas dans les commissions, l’ont fait avec une abondance et une netteté singulièrement instructives dans un exposé complet de la situation financière entre ces deux dates, 1876-1885. Ils ont montré par des faits, par des chiffres, la progression des dépenses, la profusion des emplois nouveaux et des dotations, les crédits engagés sans mesure, sans réflexion et sans garanties. Ce qu’ils ont montré surtout, c’est que, depuis quelques années, on se met sans façon en dehors de tous les principes financiers, de toutes les règles protectrices de comptabilité publique et de contrôle. On s’accoutume à vivre dans l’irrégularité, depuis la formation des budgets jusqu’à la liquidation, toujours tardive, que la cour des comptes ne peut plus suivre utilement. C’est tout cela qui a préparé une situation si difficile ; c’est à tout cela qu’il faudrait remédier, non par des explications ridicules ou des expédiens de parti, mais par la sincérité, par la prévoyance, par le respect de la fortune publique, — et c’est parce qu’on ne croit pas les républicains du gouvernement et des chambres décidés à changer de système que l’opinion ne voit point d’issue.

Que devient cependant cette éternelle affaire du Tonkin, qui a certes aujourd’hui sa part, et sa grande part, dans cette crise dont souffre le pays, dont la principale cause est une politique de parti, ou plutôt l’absence de toute politique ? Ici, en vérité, tout est énigmatique et confus. On est dans l’obscurité entre les opérations militaires, dont on ne sait plus rien, les résolutions inconnues du gouvernement, et les délibérations mystérieuses d’une commission. Lorsque le parlement s’est réuni, il y a déjà un mois, il n’y avait qu’une préoccupation une pensée qui se traduisait par un mot d’impatience : Il faut en finir ! n’y avait plus de temps à perdre pour expédier des forces au Tonkin, à Formose, pour donner à nos chefs militaires tous les moyens d’assurer l’ascendant de la France. Une commission a été nommée et s’est réunie sous cette impression. Elle a vu M. le président du conseil, M. le ministre de la guerre, elle a entendu des témoins, elle a compulsé des documens ; puis, en définitive, elle s’est enveloppée de mystère et de silence. Ce n’est pas que, dans l’intérieur de cette commission, il n’y ait eu, à ce qu’il semble, de singulières péripéties, même peut-être