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l’empêche. Lorsqu’Oreste, à la fin d’Andromaque, aperçoit les invisibles Euménides, nous les voyons dans ses yeux; nous n’avons pas la preuve sensible que l’image qui s’y reflète est vaine; nous ressentons le contre-coup du sentiment qu’elle inspire; nous ne pouvons rassurer le héros en lui faisant toucher du doigt son erreur. Ici, au contraire, nous sommes tentés de prendre Macbeth par la main et de le mener droit à l’épouvantail : la contagion de sa peur, que nous pouvons dissiper, ne nous gagne pas.

Ainsi donc, ni ce mode de composition dramatique, ni ce mode de représentation scénique, l’un et l’autre expliqués par ce qu’un art naissant a de trop matériel, par la naïveté du poète et par celle du public, ni l’un ni l’autre ne peut nous convenir. Faut-il ajouter que si, par là, le théâtre de Shakspeare est au-dessous de notre culture, par sa psychologie, hélas! il reste au-dessus ou en dehors? Que les mœurs de ses personnages soient éloignées des nôtres, ce ne serait rien encore; mais au lieu d’exposer leurs sentimens, ils les dardent; au lieu de s’éclairer d’une lumière continuelle, ils se révèlent par des fulgurations successives ; en quoi, ils font le bonheur du naturaliste qui les observe, mais le désespoir du spectateur. Ils ressemblent davantage à des hommes, mais ils violent toutes les habitudes, et peut-être faut-il dire les nécessités de la scène. Point de convention, dans ce théâtre, qui s’accommode patiemment à notre intelligence. Hermione, ici, n’attendrait pas de nous avoir initiés par une série de déductions à son caractère, pour pousser le cri fameux: « Qui te l’a dit? » Avant ce cri elle en aurait jeté dix autres, et dix autres ensuite. A l’auditeur de mesurer chaque fois jusqu’où vibre l’âne de l’héroïne; à lui de remplir le silence des intervalles. Est-ce possible? Oui, sans doute, c’est possible au lecteur qui prend son temps, les pieds sur les chenets; il voit défiler devant son esprit une série de raccourcis, et, derrière chacun, il imagine tout le vivant modèle. Mais, au théâtre, des trois quarts de cette galerie presque tout le meilleur se perd : on n’aperçoit que le geste, et non les muscles ni la pensée qui les meut. Un autre geste survient, qui ravit l’attention, et puis un autre; et à la fin, on sait que Macbeth a tué Duncan, comme on saurait que la Bancal et ses acolytes ont tué Fualdès: on a vu l’acte vulgaire, qui ne fait frissonner qu’à fleur de peau ; on n’a pas tressailli de l’intime joie que donne à l’âme le noble spectacle des causes.

Quelqu’un hésite-t-il à reconnaître, cette disconvenance de la psychologie de Shakspeare à nos coutumes françaises ou plutôt à notre infirmité humaine? Un des passages les moins shakspeariens de Macbeth, et le plus étranger à la substance du drame, est assurément le dialogue de Malcolm et de Macduff, au commencement du quatrième acte. Lette fausse confidence et le revirement qui suit n’ont