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REVUE DRAMATIQUE

Odéon : Macbeth (de Shakspeare), drame en 5 actes, en vers, par M. Jules Lacroix (reprise).

Il ne faisait pas bon, en 1822. jouer Shakspeare à Paris. Une troupe venue de Londres en fit l’expérience : il est vrai qu’elle avait cette audace, peut-être excusable, de représenter le texte anglais; la jeunesse patriote, animée par le Constitutionnel, mitrailla d’œufs et de pommes les envahisseurs; un cri domina la tempête, s’il faut en croire Stendhal : « A bas Shakspeare! c’est un aide-de-camp de Wellington ! » En 1884, il n’est pas question de rendre le poète responsable du manège de sa nation en Égypte : Macbeth, lui seul, dans cette seule année, fournit deux récoltes aux directeurs de théâtres : l’une, vers la fin du printemps, à la Porte-Saint-Martin; l’autre, vers la fin de l’automne, à l’Odéon; après la traduction en prose, la traduction en vers. Les Parisiens, à l’envi, se réjouissent qu’on leur rende Shakspeare, comme d’un bonheur pour lequel chacun d’eux était prêt depuis longtemps et dont l’indignité de son voisin le privait seule jusqu’ici.

« Entrez, messieurs et mesdames, à la Porte-Saint-Martin! Vous allez voir ce que vous allez voir: Macbeth! Non pas un Macbeth éreinté, un Macbeth énervé, à qui l’on a limé les dents et coupé les ongles! Non, messieurs, mais le monstre lui-même, présenté par M. Richepin, le premier, le seul qui ait osé le saisir à l’état de nature et le traîner devant le public tel qu’il l’a rencontré dans les montagnes touraniennes... Allez! les Blasphèmes! » Et l’on « suivit le monde » et l’on entra; et l’on vit et l’on entendit un Macbeth exaspéré par le belluaire, si hérissé de poil et si formidable en gueule qu’on