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soient mis enfin à leur tour en situation de faire la preuve de leurs capacités de gouvernement.

Quant aux républicains, ils ont tout à gagner à sortir pour quelque temps de la Maison-Blanche. C’est une trop longue occupation du pouvoir exécutif qui a engendré dans leurs rangs la décomposition morale et la corruption politique. Un parti qui se croit assuré contre tout danger de dépossession perd le sentiment de la responsabilité et tombe fatalement dans les fautes qui ont provoqué la violente croisade des partisans de la réforme contre le parti républicain.

Depuis plus de dix ans, les indépendans n’ont cessé de se dresser en accusateurs contre le système de dépravation et de démoralisation administratives que les politiciens de l’état-major politique de Grant ont intronisé aux États-Unis et qui comprend tout cet ensemble de pratiques malsaines et de doctrines impudentes résumées dans la maxime cynique : « Aux vainqueurs les dépouilles. » Ce régime connu sous le nom de grantism, et devenu de nos jours, au dire des indépendans, le blaineism, repose sur le mépris des préceptes de la morale en matière politique. Le gouvernement, aux mains des chefs du parti républicain, ne constituait plus qu’une sorte de syndicat organisé pour imposer à l’Amérique la domination à perpétuité d’une coterie de politiciens de profession, affiliés à une bande de tripoteurs financiers et de détenteurs de monopoles, une vaste société en commandite, régie par des bosses, pour l’exploitation du pouvoir, des jouissances qu’il procure, et de l’immense patronage dont il est investi sur près de cent mille postes administratifs fédéraux. Le premier remède qu’ont réclamé les indépendans contre les funestes effets de cette démoralisation, c’est que les amis du président et les chefs du parti dominant dans le sénat et dans la chambre des représentans fussent dépossédés par une mesure législative du droit de disposer en maîtres absolus de tous les emplois. Il ne peut y avoir de bonne administration lorsque les employés ne doivent leur poste qu‘à la faveur, et ne peuvent espérer se maintenir en place qu’à la condition de rendre constamment de nouveaux services, même pécuniaires, au parti qui les a nommés. De là cette importance énorme qu’a prise aux États-Unis depuis la présidence de Grant la question de la réforme administrative, civil service reform. Pendant longtemps les indépendans ont crié dans le désert, et n’ont obtenu des républicains que des railleries et des quolibets. On les traitait de « visionnaires, d’idéalistes, d’aristocrates, de songe-creux. » Pour Garfield, ce fut plus sérieux. Il voulait réaliser la réforme ; le revolver de l’assassin Guiteau l’en punit en juillet 1881. Mais, en 1882, l’écrasante défaite