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pouvait encore poursuivre la haute mission que le peuple lui avait confiée en 1860, mais seulement à la condition de se réformer. L’élection de M. Hayes, il y a huit ans, et celle de M. Garfield, il y a quatre ans, ont justifié cette vue. Mais M. Blaine, auquel avait semblé revenir de droit la succession de Grant, comme inspirateur et chef suprême du parti, paraissait aux indépendans l’homme le moins propre à réaliser cette réforme nécessaire. Ils ne lui reconnaissaient aucune des qualités morales qu’exigeait l’accomplissement de cette tâche. Ils ne le tenaient point pour un honnête homme et déclarèrent dès cette époque qu’ils ne l’accepteraient jamais pour candidat à la présidence. Le choix de la convention nationale de Chicago, l’été dernier, leur parut un véritable défi jeté à l’opinion des honnêtes gens, et nous venons de les voir relever fièrement le défi.

Pour apprécier toute l’importance de cette défection des indépendans, il faut songer que la population électorale des États-Unis est divisée en deux fractions à peu près égales, votant constamment l’une pour les démocrates, l’autre pour les républicains; que deux fois déjà, en 1876 et en 1880, les démocrates ont été tout près de s’emparer du pouvoir exécutif; et que la révolution politique qui va s’accomplir cette fois se serait réalisée dans les deux précédentes élections si les indépendans avaient alors abandonné, comme ils l’ont fait cette année, le drapeau du parti républicain. Il est probable que le succès des démocrates aurait été beaucoup plus décisif si les indépendans avaient conservé jusqu’au bout l’attitude qu’ils avaient prise au début de la campagne présidentielle. Mais il s’est produit dans ce petit corps d’armée, toujours flottant entre les deux partis, toujours prêt à évoluer d’un camp à l’autre, des défections qui ont affaibli son action au moment suprême. Les votes des indépendans se sont divisés, et c’est à un déplacement de quelques centaines de voix à peine qu’a tenu, le A novembre, le sort de l’élection.

Depuis plus d’un an, les principaux journaux du parti démocratique et des républicains dissidens avaient établi, avec une précision que l’événement a justifiée, la carte géographique du champ de bataille où les partis allaient se heurter. Le collège électoral présidentiel, composé dans chaque état de délégués en nombre égal à celui des représentans et des sénateurs que cet état envoie à Washington, reproduit ainsi l’image exacte de la représentation totale de l’Union au congrès fédéral. Le nombre des sénateurs, à raison de deux par état, est de 76. La chambre des représentans, depuis le recensement de 1880, compte 325 membres. Le collège électoral est donc composé actuellement de 401 électeurs, et la majorité