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et les danses guerrières ouvrent la fête[1]. Souvent les danseurs portent un masque en bois, imitant la tête d’un crocodile, objet à la fois de leur crainte et de leur vénération. Quand les danses sont terminées, les hommes et les femmes font une confession publique. Si l’un d’eux a transgressé la loi du mariage, et les dénonciations remplacent facilement les aveux, le coupable, quel que soit son sexe, est condamné à l’amende. Tout étant ainsi réglé, et les consciences tranquillisées, les augures sont consultés et sur leur avis favorable le jour est choisi. Les Dayaks se mettent en campagne, et attaquent à l’improviste un village voisin ; les malheureux habitans surpris n’offrent le plus souvent qu’une faible résistance. Les morts sont quelquefois nombreux; les têtes sont desséchées au-dessus d’un brasier ardent et restent la propriété du chef; les guerriers dévorent les corps. Au retour, les vainqueurs célèbrent la fête de Tiwah ou de la mort. Une tête humaine est fixée sur un grand poteau enfoncé dans le sol; un des prisonniers est lié à ce poteau. Tous les hommes en costume de guerre s’avancent successivement et le frappent à coups de lance, pendant que les prêtres et les prêtresses entonnent le chant du triomphe. Si beaucoup de captifs doivent périr le même jour, leurs souffrances, bien qu’elles ne durent jamais moins d’une heure, sont relativement courtes ; mais si, au contraire, les malheureux sont peu nombreux, les bourreaux ont soin de n’infliger que des blessures légères et la victime est torturée pendant de longues heures avant que la mort vienne terminer son supplice.

L’anthropophagie persiste chez les sauvages des Guyanes comme chez ceux du Brésil. Le docteur Crevaux, à la veille de l’expédition qui devait lui coûter la vie, me racontait que, débarquant le soir sur les bords de l’Iça, un des affluens de l’Amazone, il avait surpris une vieille femme préparant le repas des siens; la tête grimaçante d’un Indien bouillait dans la marmite; Une autre fois, au village de Carjonas, sur le Yapura, un homme de la tribu le rejoint, tremblant encore de peur et d’émotion. Il voyageait avec deux autres hommes sur la rivière Araro; surpris par les Ouitotos[2], tous les trois avaient été faits prisonniers. Un de ses compagnons avait été immédiatement lié à un arbre par les pieds et les mains, puis tué au moyen d’une flèche empoisonnée avec un de ces venins subtils dont les Indiens ont gardé le secret. Son corps fut dépecé, quelques morceaux prélevés comme un cadeau honorable pour les chefs voisins et le reste distribué aux assistans. Pendant les apprêts du

  1. Carl Bock, the Head Hunters of Borneo.
  2. Les Ouitotos, comme nos ancêtres préhistoriques, fabriquent des flûtes avec des ossemens humains.