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disaient-ils, de la chair humaine. Les Tapuyas dévoraient, après leur mort, ceux des leurs qui s’étaient fait remarquer par leur vaillance. Les mères étaient tenues de manger les enfans qu’elles avaient perdus. Les os des cadavres étaient pilés avec du maïs, et le deuil devait durer jusqu’à ce que le corps entier eût été consommé. Sur le versant du Pacifique, les Chibchas, race forte et courageuse, agricole et laborieuse, présentaient un caractère particulier et une civilisation qui leur était propre, sans que nous puissions dire ni l’origine de la race, ni les débuts de cette civilisation. Isolés sur les plateaux montagneux des Andes, moins puissans que les Aztecs ou les Péruviens, ils avaient su, malgré leur infériorité, maintenir leur indépendance contre leurs dangereux voisins. La richesse de ce peuple paraît avoir été considérable, et les chroniqueurs rapportent que les conquistadores parvinrent à recueillir un butin dont la valeur dépassait le chiffre énorme pour l’époque de 30 millions de notre monnaie. Les Chibchas adoraient le soleil, la lune et les étoiles. Ils offraient au soleil, mais seulement à de rares occasions, des victimes humaines. Une de ces occasions était le renouvellement de chaque cycle de quinze ans, base de leurs calculs astronomiques. Les victimes étaient en général de jeunes prisonniers préparés par une longue initiation à la mort qui les attendait. Selon un rite consacré par un long usage, on devait asperger de leur sang les pierres sur lesquelles dardaient les premiers rayons du soleil levant.

Les Péruviens offraient à leurs dieux des fleurs et de l’encens, quelquefois des tapirs, des cobayes, des serpens. A la grande fête du Raymi, ou du feu sacré, on sacrifiait un lama ; à certaines occasions plus importantes, à l’avènement d’un inca par exemple, on immolait devant l’autel du Soleil un enfant ou une vierge choisie parmi les plus belles. Mais, il faut le dire à l’honneur de ce peuple, ces sacrifices étaient rares, et ils n’étaient jamais suivis des odieux festins qui les accompagnaient chez les Mexicains.

Il est assez difficile de remonter aux débuts de l’anthropophagie en Amérique. Toutes les questions relatives aux diverses races qui ont peuplé le Nouveau-Monde sont encore bien obscures et nous ne pouvons les aborder ici. M. Jeffries Wyman, dans la fouille d’un kjökkenmödding sur les rives du lac Monroë (Floride), avait remarqué les os longs de l’homme (fémur, tibia, humérus) confondus avec des ossemens de cerf et brisés, comme eux, en fragmens ; ce fait éveilla son attention ; il s’en préoccupa et bientôt il eut dix cas bien caractérisés qui ne laissèrent aucun doute dans son esprit