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Sa force était telle que nul ne pouvait soulever son macuahuitl[1] Le monarque mexicain lui offrit sa liberté ; mais le Tlascaltec était trop fier pour l’accepter de ses ennemis. Il demanda à combattre sur la pierre des gladiateurs. Sa prière fut accordée ; on l’attacha par le pied au poteau et on lui remit une massue. Les Mexicains les plus illustres vinrent tour à tour l’attaquer; huit furent tués, vingt autres grièvement blessés avant qu’on pût venir à bout du captif. « Jamais cœur plus vaillant, ajoute le chroniqueur, ne fut offert au soleil. » Quand le prisonnier était d’un rang élevé et que sa bravoure avait été digne de sa race, on coupait le corps en morceaux destinés à ses parens et à ses amis. C’était un présent distingué, et ceux qui le recevaient devaient le reconnaître par une généreuse offrande de pierres précieuses, d’ornemens en or ou de plumes d’oiseaux rares.

Les sacrifices étaient toujours suivis de plusieurs jours de fêtes, de danses, de festins, d’ivresse brutale[2]. Durant ces fêtes, les maris devaient s’abstenir de tout commerce avec leurs femmes, les dévots se perçaient la langue, les lèvres, les oreilles et barbouillaient de leur sang la figure des idoles. D’autres fois, le sang était tiré des organes sexuels et on en arrosait des grains de maïs que les assistans se disputaient avec ardeur dans une pensée aphrodisiaque. À ces festins, la viande des victimes était le mets le plus recherché. Les morceaux les plus délicats étaient réservés aux prêtres, le haut de la cuisse au roi ; une certaine partie du corps devait être remise à celui qui avait offert soit son enfant, soit un esclave ou un prisonnier fait dans les fréquens combats qui se livraient, souvent dans le seul dessein de se procurer des victimes. On distribuait le surplus au menu peuple qui se pressait au bas du teocalli pour obtenir sa part du festin. La viande humaine devait être accommodée avec du maïs et portait un nom spécial, le tlacatlaolli. Certaines règles étaient observées. Ni le maître de l’esclave, ni le père de l’enfant ne pouvaient manger de leur chair par respect pour la famille et ils étaient tenus d’envoyer la part qui leur revenait à leurs amis ou à leurs voisins.

Outre les victimes sacrifiées sur les autels des dieux, ces hommes avaient d’autres moyens de se procurer de la chair humaine, si nous devons en croire les chroniqueurs espagnols, un peu suspects,

  1. Le macuahuitl était une lame en bois assez semblable comme forme aux espadas de dos manos des conquistadores. On insérait sur les bords des fragmens d’obsidienne aussi tranchans que les lames de Tolède, ajoutent les Espagnols. Les coups de cette arme dont les Mexicains se servaient comme d’une massue étaient des plus redoutables; mais l’obsidienne se brisait facilement et dès lors l’arme devenait moins dangereuse.
  2. Les Mexicains connaissaient plusieurs espèces de boissons fermentées.