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une pierre de forme convexe (le tehcatl), pour que sa poitrine se présentât en saillie et facilitât ainsi la tâche du sacrificateur. Un lourd collier en pierre maintenait le cou[1] ; les chachalmeca serraient les bras et les jambes; le grand prêtre (topiltzin) laissait tomber un couteau en obsidienne, « l’homme s’ouvrait par le milieu comme une grenade, » dit le père Duran. Un prêtre aspirait le sang par un tube, puis le rejetait dans une coupe qui était portée en grande pompe devant les principales idoles comme un hommage public, puis déposée au palais du roi. Le cœur était spécialement consacré au dieu dont on célébrait la fête, et le corps était précipité au bas des mêmes marches que le vivant venait à peine de franchir.

Dans les occasions solennelles, au jour consacré à Huitzilopochtli, le dieu de la guerre[2]. par exemple, le topiltzin portait une magnifique dalmatique rouge couverte de broderies vertes; une couronne de plumes vertes et jaunes ornait sa tête ; à ses oreilles et à ses lèvres pendaient de larges émeraudes enchâssées dans de l’or. Les lévites et les prêtres avaient soin de peindre en blanc le tour de leurs yeux et de leur bouche. Cet aspect farouche ajoutait à la frayeur qu’inspirait leur ministère, plus craint encore que respecté.

Les Aztecs variaient leurs plaisirs par des combats de gladiateurs. Le captif était attaché à un poteau sur une large pierre ronde, assez semblable à une meule de moulin, on lui donnait des armes et un bouclier pour défendre sa vie et il était attaqué tour à tour par les fidèles qui briguaient cet honneur. Le sang ruisselait; les blessures causées par les flèches ou les lances restaient béantes ; l’agonie du malheureux, dont les forces étaient doublées par la souffrance et par la rage, durait quelquefois très longtemps. Il succombait enfin et on traînait rapidement le cadavre devant l’autel; le dieu ne devait pas perdre son offrande.

Durant la dernière année du règne de Montezuma, un chef tlascaltec des plus renommés avait été fait prisonnier dans une embuscade.

  1. On peut voir, au musée du Trocadéro, ces colliers ainsi que les couteaux en obsidienne destinés aux sacrifices,
  2. La légende de Huitzilopochtli est curieuse. Une pieuse veuve vivait à Tola. Un jour qu’elle était au temple priant les dieux avec ferveur, elle vit flotter dans les airs une petite boule de plumes. Elle la ramassa et la mit dans son sein. De retour chez elle, quand elle voulut chercher la boule, elle avait disparu. Peu de temps après, elle était grosse. Ses fils, irrités du déshonneur de leur mère, voulaient la tuer; mais du fond de ses entrailles, une voix se fit entendre : « Ne crains rien, ô ma mère ! s’écriait cette voix, car tout tournera à ta gloire. » Au même instant, Huitzilopochtli parut portant un bouclier, une lance étincelante de mille feux et une couronne de plumes vertes sur sa tête. Tombant sur ces fils qui avaient osé suspecter la vertu de leur mère, il les mit tous à mort. De ce jour, il fut appelé Tehsauhteotl, le dieu terrible.