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Saint Jérôme, au IVe siècle de notre ère, affirme avoir rencontré dans la Gaule les Attacotes, issus d’une race qui habitait les bords de la Clyde, au-delà de la grande muraille d’Adrien. Ces hommes se repaissaient de chair humaine, bien qu’ils possédassent de grands troupeaux de bœufs, de moutons, de porcs, auxquels leurs immenses forêts fournissaient d’excellens pâturages. On ne peut guère s’étonner de trouver cette barbarie chez des peuples sauvages, quand, au temps de la splendeur de Rome, les courtisans de l’empereur Commode, au dire de Galien, mangeaient, par un raffinement de gourmandise, les morceaux les plus délicats du corps de l’homme ou de la femme.

Dans les tombeaux de la Géorgie, dont les plus anciens ont précédé l’ère chrétienne, il n’est pas rare de trouver des ossemens humains, bouillis ou carbonisés; c’étaient sans doute ceux des victimes qui avaient servi au festin des funérailles. Bien des siècles après, à l’autre extrémité de l’Europe, Adam de Brème, qui prêchait le christianisme à la cour du roi Swen Ulson, nous dit les Scandinaves vêtus de peaux de bêtes, chassant l’aurochs et l’élan, ne sachant guère qu’imiter le cri des animaux et dévorant leurs prisonniers.

Nous avons raconté les découvertes qui tendent à prouver le cannibalisme des vieux habitans de notre sol; il persistait dans des temps plus modernes, et Charlemagne édictait les peines les plus sévères contre ceux qui osaient manger de la chair humaine et contre ceux qui se livraient à la magie. Les deux crimes se confondaient sans doute et l’on prétendait par d’horribles sacrifices rendre propices les esprits infernaux.

La légende ajoutait aux faits vrais des récits fabuleux. Richard Cœur de lion avait été atteint devant Saint-Jean-d’Acre d’une fièvre ardente dont il se remettait lentement. Avec le désir d’un convalescent, — d’un convalescent royal surtout, — il réclamait de la viande de porc. Les veneurs et les pourvoyeurs du roi se mirent en campagne; mais, dans toute la Syrie et dans toute la Palestine, il fut impossible de trouver un seul de ces animaux, dont la viande était regardée comme impure. Les cuisiniers la remplacèrent par une tête de Sarrasin, qu’ils accommodèrent avec force épices et dont Richard mangea de grand appétit. Le vieux chroniqueur, auquel nous empruntons ces détails, ajoute :


King Richard shall warrant
There is no flesh so nourrissant
Unto an English man
Partridge, plover, héron ne swan,
Cow ne ox, sheep ne swine
As the head of a Sarazine.