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On annonçait tout récemment à la Société d’anthropologie de Berlin la découverte, auprès de Holson (Brunswick) d’os humains brisés et calcinés. Dans une couche inférieure, on recueillait les débris d’animaux appartenant à l’époque préglaciaire. Les mêmes faits se passaient dans l’Europe entière. Nos vieux ancêtres ne reculaient ni devant l’immolation de victimes humaines, ni devant une odieuse nourriture, alors que la plupart des animaux éprouvent une singulière répugnance pour la chair d’un animal de leur espèce.

La mythologie grecque est pleine de semblables récits fondés sans doute sur quelques faits véritables; ils ajoutent une preuve de plus aux preuves matérielles que nous venons de donner. Qui ne se souvient de Lycaon immolant son fils Pélops en l’honneur des dieux, de Polyphème et des Lestrygons dévorant les compagnons d’Ulysse, et mieux encore de l’horrible festin où Atrée fit servir à son frère Thyeste ses deux enfans nés de l’adultère? Grâce à l’heureux privilège du génie d’immortaliser tout ce qu’il touche, ces récits sont transmis d’âge en âge ; ils ne disparaîtront de la mémoire des hommes que quand les hommes eux-mêmes disparaîtront de la terre.

L’histoire apporte à son tour de longs enseignemens; elle nous condamne à une suite rarement interrompue de scènes atroces. On mettait un homme en lambeaux sur l’autel de Dionysios Omostes, raconte Plutarque; les Celtes traitaient magnifiquement les esclaves destinés à être sacrifiés; ils les immolaient ensuite en grande pompe. Tous les ans, la tribu scythe des Albanes engraissait une hétaïre pour la sacrifier sur l’autel d’Astarté, la déesse de la volupté. Aux Thargilies, les Athéniens revêtaient de riches habits un homme et une femme qui avaient été entretenus aux frais du trésor public ; au jour indiqué, ils étaient conduits hors de la ville et brûlés au milieu des acclamations d’une population avide de sang. Les autodafés se célébraient en Espagne avec le même concours de peuple et les mêmes acclamations ; ce n’était plus au nom de dieux cruels et voluptueux que se faisaient ces sanglantes exécutions, mais au nom du Dieu de miséricorde et de justice. Tout change : les lois, les mœurs, les coutumes se modifient; l’univers se transforme; seules les passions des hommes survivent à travers les siècles. Si elles semblent sommeiller un moment, c’est pour reparaître bientôt plus violentes et plus indomptables.

Continuons notre funèbre liste : les Perses immolaient des victimes sur l’autel de Mithra, et leurs prêtres devaient, selon une hideuse coutume que nous allons retrouver chez les Mexicains, porter la peau des malheureux qu’ils avaient égorgés jusqu’à ce