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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

demi-siècle, le privilège d’une population beaucoup moins nombreuse. L’aisance, ou une demi-aisance, a pour un grand nombre amélioré le régime, et tels départemens tout entiers, ou au moins tels arrondissemens, ont réalisé des progrès pour la nourriture devenus sensibles dans la catégorie inférieure et tout à fait considérables dans la classe des cultivateurs qui prend place au-dessus.

Aux approches des villes surtout, par exemple aux environs de Rennes, chez un fermier moyen, la nourriture atteint à peu près au confortable ; la viande de boucherie est consommée plusieurs fois par semaine. À un degré moindre, mais notable, on peut porter le même jugement des meilleures parties du Finistère et des autres départemens. Dans la presqu’île de Guérande, une métamorphose complète s’est opérée dans les conditions du régime alimentaire depuis vingt-cinq ans seulement. Le fermier mange du pain blanc ; les mets sont bien cuits et bien préparés. Les ouvriers ruraux nourris à la ferme participent des mêmes avantages soit pendant toute l’année, soit durant les mois où on les y emploie. Ce n’est jamais d’ailleurs tout à fait inutilement que le niveau s’élève. On ne peut que le désirer pour ces populations laborieuses. Elles ont encore trop de chemin à faire pour arriver aux recherches des riches fermiers pour qu’il y ait lieu de s’inquiéter de les voir tomber dans le sybaritisme. Les effets d’un régime qui demeure imparfait pour la moitié de la population bretonne sont fâcheux. Il produit une mollesse et une lenteur dont le travail rural se ressent extrêmement. Tous les propriétaires s’en plaignent dans un grand nombre de régions. Ce manque de force est beaucoup plus rare sur la côte, grâce à l’influence salutaire du voisinage de la mer. Il faut au reste une alimentation réellement défectueuse pour empêcher la race de devenir vigoureuse, même à un degré remarquable. On sait qu’elle produit des marins aussi forts qu’intrépides. On sait moins peut-être qu’elle produit également des cavaliers excellens et infatigables. Le Breton, au dire d’hommes du métier, mène le cheval aussi bien que le cavalier arabe. Il en prend l’habitude dès l’enfance. Les plaines de Guingamp, de Carhaix et de plusieurs autres contrées sont sous ce rapport de véritables champs d’expérience où l’apprentissage se fait sans qu’on y songe. L’amélioration du régime alimentaire est donc ici une question vitale. Nous avons remarqué déjà que la facilité à s’enivrer avec du cidre, même pris en petite quantité, tient en grande partie à ce que le régime a de trop peu nutritif. Nous pouvons en conclure qu’une question de morale est liée ici étroitement à la question d’hygiène.

Le vêtement est meilleur qu’autrefois pour la masse rurale, sans qu’il faille pourtant s’exagérer le dénûment du paysan breton à cet