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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

ils semblait à peine former deux classes, lorsque le propriétaire, même riche, est un paysan. La vie est à peu près semblable, sinon quelquefois commune. Le paysan propriétaire qui possède une vingtaine de mille francs de rente (il n’y en a pas un grand nombre, mais il y en a) se rend au marché avec ses beaux habits brodés, comme nous avons pu le voir à Quimper et ailleurs. C’est la seule façon dont il déroge à la simplicité, et cela d’une façon d’ailleurs conforme aux antiques usages. Revenu à la ferme, il reprend son vêtement de cultivateur et se distingue d’autant moins de ses fermiers que ceux-ci, pour peu qu’ils s’élèvent au-dessus de la classe inférieure, ont aussi une rare dignité naturelle. Ainsi se confondent presque les rangs dans ces pays, où l’on retrouve sous bien des formes un vieux fond d’égalité.


IV. — CONDITION MATÉRIELLE DES TRAVAILLEURS AGRICOLES.

La condition matérielle des ouvriers ruraux a, depuis cinquante ans, accompli des progrès qu’il est facile de constater en se reportant aux documens de cette époque ; pourtant les indications qui vont suivre montreront combien elle est encore imparfaite. Nous remarquerons qu’elles ne s’appliquent pas seulement à la classe qui vit exclusivement de salaires, mais à cette catégorie nombreuse qui joint à la rétribution du travail une petite propriété. Cette dernière catégorie comprend environ le quart des individus inscrits parmi les propriétaires. On peut enfin faire rentrer dans la même description les plus petits fermiers. Leur vie est très resserrée également, et se confond avec celle de la masse des paysans ouvriers.

C’est seulement dans les fermes d’une certaine étendue où règne quelque aisance que l’ouvrier rural trouve les conditions d’une alimentation normale. Dans le Finistère, par exemple, on estime la nourriture d’un gagiste à l’année à 200 francs pour les hommes, 150 pour les femmes, 130 pour les enfans. Dans ce cas, il y a peu de différence entre le régime du travailleur et celui du propriétaire ou du fermier qui l’emploie. En dehors de ces circonstances, l’alimentation de l’ouvrier rural et du cultivateur tombe fréquemment au-dessous du nécessaire. La constitution s’en ressent dans plusieurs régions, surtout de l’intérieur des terres, où l’air est moins vivifiant. La femme bretonne en paraît particulièrement éprouvée et débilitée dans ces catégories inférieures de la population rurale. On a pu se demander si les abus alcooliques auxquels se livrent un trop grand nombre d’entre elles n’étaient pas une sorte de réaction violente contre cet état de langueur entretenu par une demi-abstinence. Ce serait une circonstance atténuante qui manque aux femmes normandes, qu’on voit livrées au même vice. Les élémens