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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

dans le Morbihan, mais dans une partie de la Haute-Bretagne, avaient afféagé leurs landes aux paroisses, aux sections de paroisses et même aux couvens. Ces jouissances de terres en commun, si peu semblables à cette étroite association de deux intérêts réunis par une sorte de copropriété, ne devaient produire que des populations inférieures. Cette situation ne fut pas modifiée quand, les afféagemens si nombreux ayant été déclarés en 1793 rente féodale, les landes furent dévolues aux communes et sections de communes. L’idée de jouir de la terre en ne payant pas ou en payant peu subsista dans ces régions, où le manque de capitaux ne peut que la corroborer. La loi votée en 1850, relative au partage de communaux, est venue mettre un terme à cette espèce de communisme, sans pouvoir en détruire encore les traces que laissent des habitudes invétérées. En fait, le Morbihan reste couvert de domaines congéables, bien que le nombre en ait été sensiblement réduit. L’opinion condamne ce régime, qui expose le tenancier à se voir contraint par le propriétaire du fonds d’abandonner le domaine. Si le tenancier congédié a assez d’épargnes pour l’acheter, la supériorité du régime de la propriété individuelle ne tarde pas à se faire sentir, l’essor est donné aux perfectionnemens. Hâtons de nos vœux cette transformation. Elle sera aussi féconde qu’elle nous paraît infaillible. Elle contribuera à résoudre cette question capitale en Bretagne du défrichement des landes, que le domaine congéable achève de rendre insoluble dans le Morbihan. Une clause funeste à ce point de vue interdit de boiser au tenancier, alors que le boisement serait un des moyens les plus efficaces de fertiliser ces immenses espaces qui ne fournissent guère que des ajoncs au cultivateur[1].

Le métayage occupe peu de place en Bretagne. Il n’en a jamais occupé beaucoup dans le Finistère, et il est allé décroissant dans le Morbihan, où, au reste, le domaine congéable devait l’empêcher de se développer, car ce régime était bien une sorte de métayage sous des formes spéciales et très différentes. Nous devons relever ici une

  1. La manière d’acquitter la redevance a subi quelques modifications dans la domaine congéable. Elle ne s’acquitte plus en nature dans la plupart des régions. Dans le Morbihan, le tarif en argent est établi chaque année par le tribunal de l’arrondissement, d’après un acte authentique. C’est un vrai bail, appelé baillée, qui garantit au tenancier la jouissance pendant un laps de temps détermine. Quand le propriétaire n’est pas dans l’intention de congédier, il lui renouvelle cette baillée en se faisant attribuer une somme minime, mais en échange il lui donne généralement du bois pris sur le domaine pour faire les réparations nécessaires aux bâtimens. Ailleurs la rente du domaine congéable se paie habituellement en blé ; à Quimper, les domainiers déposent leur grain chez un négociant de la ville désigné par le propriétaire et en reçoivent un récépissé qui leur sert de quittance ; le propriétaire règle ensuite avec le négociant au taux de la mercuriale ; fixée pour l’époque du paiement.