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revenu à l’hectare de 100 jusqu’à 700 ou 800 francs. Des terres sans valeur en ont reçu une assez considérable de l’application du même régime. Il permet aux propriétaires de toucher des revenus plus élevés sans avoir eu à faire de sérieuses avances sur un fonds qui en donnait de très faibles avec un autre système d’amodiation. Les tenanciers n’ont pas davantage envie de rompre un engagement qui fait vivre dix ou quinze familles sur une terre à laquelle elles ont apporté 25,000 ou 30,000 francs en vingt-cinq années et qui leur procure une véritable aisance. Ils sont assurés d’ailleurs d’être remboursés à la suite d’une évaluation à dire d’experts de leurs améliorations, tandis que, dans la constitution trop souvent défectueuse des baux, le fermier risque de n’en tirer d’autre récompense qu’une augmentation de son prix de ferme après des échéances trop courtes pour permettre toutes les améliorations nécessaires.

Nous étonnerons sans doute quelques personnes en avançant qu’on voit dans le Finistère se créer encore des domaines congéables à côté de ceux qui disparaissent. Nous avons pu recueillir aussi la preuve d’une concorde à peu près entière dans les relations entre les propriétaires et les domainiers. Le fait a été reconnu naguère par le secrétaire perpétuel de la Société d’agriculture de Londres, M. Jenkins, qui recevait, à propos des complications aggravées de l’Irlande, la mission d’étudier en France les divers systèmes d’amodiation. Il était frappé de la cordialité de ces rapports, comme des bons effets économiques développés par le régime congéable dans le Finistère ; il allait jusqu’à manifester dans son rapport le regret que les lords n’eussent pas autrefois établi un régime analogue en Irlande. Mais tout ce qu’on peut dire en faveur du domaine congéable est rétrospectif ou tout à fait partiel. Ce qu’on en voit ailleurs n’est pas au contraire pour faire envie. Tandis que les tenanciers du Finistère ne manquent ni de lumières, ni tout à fait de capitaux et bénéficient d’un sol en général fertile, les tenanciers des autres régions, comme le Morbihan, sont ignorans, pauvres, travaillent le plus souvent sur un sol ingrat, sans être aidés par le capital. Ajoutons une autre cause funeste d’immobilité, la coutume qu’ont adoptée dans le Morbihan les experts et les tribunaux de prendre au pied de la lettre une clause qui avait été introduite anciennement dans les baillées à domaine. Cette clause, qui allait à interdire les innovations à cause des abus, aurait détruit tout bon effet du domaine congéable, si elle n’avait été interprétée d’une manière plus large dans les autres départemens, où il a toujours été de règle que les améliorations seraient estimées à leur valeur. N’oublions pas enfin que le domaine congéable est dans le Morbihan aux mains d’une population qui subit les conséquences fâcheuses d’un long usage de l’afféagement. Les seigneurs, non-seulement