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d’en proportionner les avantages à la durée. Quant au propriétaire, les conditions d’un congément avantageux se rencontraient trop rarement pour qu’il eût envie de rompre un contrat qui lui procurait un revenu d’autant plus assuré et d’autant meilleur, à la longue, que les détenteurs rendaient le fonds plus productif. C’est ainsi que se fixèrent au sol, sur les territoires surtout qui forment la Basse-Bretagne, et plus particulièrement encore sur les terres faisant partie des évêchés de Cornouailles, de Tréguier, de Vannes et de Saint-Brieuc, des générations successives de domainiers exploitant le sol dont ils étaient les véritables possesseurs, sauf le droit de vente, tandis que le propriétaire ressemblait à un simple usufruitier, à un rentier à revenu fixe, ou variable seulement à des époques plus ou moins éloignées. Plus le propriétaire vécut éloigné de ses terres, plus il s’arrangea de cette combinaison commode, jusqu’au moment pourtant où il commença à réagir sous l’empire de besoins accrus. Cet éloignement du propriétaire noble devait être, à la longue, favorisé par l’établissement du droit d’aînesse, inconnu à la Bretagne pendant toute la première partie du moyen âge. Alors la famille avait vécu dans l’égalité relative qu’on trouve dans les anciennes lois bretonnes[1]. Les cadets, plus ou moins ruinés, formèrent une petite noblesse, très nombreuse et nécessiteuse. La grande noblesse prit les habitudes de l’aristocratie du reste de la France. Elle fit pénétrer en Bretagne le droit féodal, qui influa d’une manière fâcheuse sur le domaine congéable, sans en altérer pourtant les conditions générales. D’une part, les redevances ajoutées à ce mode de tenure le rendirent un peu moins avantageux, et, de l’autre, le propriétaire, plus besogneux, devint plus exigeant. Des mesures restrictives furent prises, au XVIIe siècle, contre ces améliorations mêmes, qui attestaient ce qu’avait de fécond ce mode de tenure, mais qui rendaient très difficiles les congémens aux propriétaires. Les états où ils figuraient en grand nombre allèrent, en 1647, jusqu’à émettre le vœu que le parlement empêchât qu’à l’avenir les domainiers portassent la valeur des édifices et des droits réparatoires à plus de moitié ou des deux tiers de la valeur du fonds. Mais le parlement et les ordonnances royales finirent toujours par reconnaître les avantages de ce genre de bail. On peut affirmer qu’il entretint les habitudes laborieuses et les traditions de famille. Il ne fut pas entièrement étranger à cette procréation d’un grand nombre d’enfans, qu’on regardait moins comme des charges que comme des auxiliaires dans une vie agricole qui avait pour base le travail plus que

  1. Le code d’Hoël, analysé avec étendue par M. A. de Courson (loc. cit.), est à ce point de vue très intéressant à étudier.