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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

en trente ans dans l’arrondissement de Rennes, ont baissé souvent d’un quart. Ces prix avaient été exagérés par la demande des fermages : on en convient aujourd’hui généralement. Mais on ne saurait nier que la concurrence du blé étranger n’ait eu sa part avec les mauvaises saisons consécutives dans ce résultat pour l’Ille-et-Vilaine comme pour la Bretagne tout entière. Quelques années auparavant, les traités de commerce avaient, au contraire, communiqué une impulsion plus vive encore à la culture des céréales dans ce département, qui en exporta longtemps une si grande quantité, ainsi que celui de la Loire-Inférieure.

Nul arrondissement n’a fait plus de progrès que celui de Vitré, qu’on ne peut nommer sans réveiller d’autres idées que celles qui touchent à l’agriculture. Pourtant le nom de Mme de Sévigné elle-même et le château des Rochers pourraient donner lieu à une comparaison curieuse entre ce qu’était autrefois ce pays et ce qu’il est devenu aujourd’hui. Beaucoup de choses sont restées les mêmes, et tel étang, tel moulin, immortalisés par l’illustre châtelaine, nous redonne l’illusion du passé, que les noms mêmes des localités semblent faire revivre à nos yeux. C’est le même manoir, c’est, à beaucoup d’égards, le même jardin, quoique les rochers qui avaient donné leur nom au domaine aient disparu depuis environ cinquante ans ; seulement nous doutons que le propriétaire actuel se contentât de voir évaluer sa terre à 120,000 livres et son revenu à 6,000, comme l’établissaient les calculs qu’en avait faits M. de Sévigné. En revanche, la vie était à bon marché, et on venait y passer l’hiver pour faire des économies rendues nécessaires par les dettes. Le malheur était qu’on ne pouvait se faire payer ses fermages ; on avait beau crier partout : « De l’argent ! de l’argent ! » il fallait, non pas recevoir, mais donner à ces métayers et à ces meuniers, qui « n’avaient pas un unique sou. » La châtelaine des Rochers a laissé des comptes où les bottes de paille et de foin sont consignées. Elle n’était pas indifférente aux biens de fortune. Elle aurait fort apprécié la chaux de la Mayenne, qui a pour ainsi dire sous nos yeux, au moins triplé les prix et les revenus. Elle ne se plaindrait plus du mauvais état des chemins entretenus tant bien que mal par M. de Chaulnes. La route de Vitré aux Rochers, dont elle nous montre « les bourbiers enfoncés » et où son carrosse s’était rompu, est aujourd’hui une jolie allée de parc-Vieux domaines aux grands noms historiques et propriétés nouvelles exploitées en perfection se côtoient dans cet excellent pays. Les plantations de chênes et de châtaigniers servant de limites donnent à la plaine l’apparence d’une forêt verdoyante.— Les propriétaires ont pris l’habitude d’y mettre en prairie le tiers du domaine et quelquefois davantage. Nous y trouvons une valeur habituelle de 2,000 et 3,000 francs à l’hectare,