Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
389
LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

concurrence. L’œillet, qui, à Guérande, se vendait, vers 1860, de 400 à 450 francs, était tombé à 100 dès 1868. La valeur totale du salin était descendue de 7 millions à 1,500,000 francs. À Bourgneuf, où l’œillet valait de 100 à 150 francs, il était arrivé au prix désastreux de 15 et de 10, tandis qu’à côté les terres doublaient ou triplaient de valeur. La situation des paludiers, naguère supérieure à celle des petits cultivateurs, tombait au-dessous. Depuis que nous avons visité ces marais, la situation s’est un peu améliorée, par suite d’une ou deux années plus favorables, qui avaient écarté le fléau de l’inondation. Mais, on doit le constater, cette exploitation salicole est en décadence. Si les moyens par lesquels on essaie ou on propose de tenter de l’arrêter ne réussissent pas, on verra se restreindre de plus en plus cette population estimable et formée d’hommes vigoureux, qui semble garder dans les habitudes et dans le costume le dépôt de l’originalité bretonne. — Le Bourg-de-Batz la conserve, quoique amoindrie. S’il étale encore aux jours de fête et de cérémonie ses riches vêtemens, qui rappellent l’Orient, ce luxe éblouissant ne réussit pas à masquer une pauvreté qui, dans les mauvais jours, est plus d’une fois de la misère. Le régime de nourriture a pour élémens presque uniques des soupes maigres, des pommes de terre mal assaisonnées, la sardine et quelques coquillages vulgaires. On peut s’étonner qu’avec de telles conditions il y ait lieu de parler de la vigueur de la race. Elle est facile néanmoins à constater, ainsi que la beauté du teint des femmes. Dans cette classe des paludiers on loue aussi l’honnêteté d’une race vaillante au travail ; sobre, malgré quelques excès de boisson aux jours de fête et de marché, qui ne dégénèrent pas en ivrognerie invétérée, un peu imprévoyante, dit-on, comme il arrive dans les industries où il y a de grands écarts dans le revenu. Telle qu’elle est, elle mérite qu’on ne la quitte pas sans un adieu sympathique. La tendance à s’isoler se fait remarquer aussi chez les paludiers et les mariages se célèbrent aussi beaucoup entre les familles. On a fait observer le retour fréquent des mêmes noms. Ainsi on ne compte pas moins, au Bourg-de-Batz, de 490 Lehuédé sur 2,733 habitans. On discute beaucoup sur les alliances consanguines, elles ne paraissent pas, sur ce petit théâtre, avoir les mauvais effets qui se présentent fatalement quand il y a eu des cas fâcheux d’hérédité.

Terminons par l’Ille-et-Vilaine cette revue rapide de l’état de la propriété rurale et des populations qui y participent. L’élément purement agricole ne s’y éloigne pas extrêmement de la proportion très considérable des cinq sixièmes. Environ 100,000 propriétaires ruraux forment le quart des habitans. Boulainvilliers remarquait que les familles nobles de la Bretagne ne sortaient guère de leur domaine. Cette assertion garde une part de vérité relative dans l’Ille-et-Vilaine,