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qu’on appelle, ce nous semble, avec une singulière exagération, le pays des grandes terres. Que dire, en effet, de ces « grandes terres » de 30 ou 40 hectares qu’on ne peut toujours affermer faute de capital ? Les petites sont, d’un autre côté, chargées d’édifices dont la réparation entraîne trop de frais. — Jusqu’à présent, le mouvement de retour qu’on peut signaler, en certains points de la Bretagne, des grands propriétaires sur leurs domaines, ne paraît guère se manifester dans les Côtes-du-Nord. Les propriétaires, même paysans, arrivés à un certain revenu, afferment volontiers, comme je le remarquais pour certaines parties du Morbihan. Il est vrai que le pays offre souvent beaucoup de charmes. Dans ce doux pays de Tréguier et dans quelques autres parties privilégiées, on rencontre souvent l’union délicieuse de la mer et d’un paysage verdoyant, les plaisirs de la chasse et de la pêche. Nous ne serions pas étonnés que ce fût là un attrait de plus pour un repos prématuré dans ce bon vieux pays, où on a toujours paru fort apprécier le loisir.

Nous arrivons aux deux départemens qui forment la Haute-Bretagne. Ils diffèrent à certains égards autant entre eux qu’ils diffèrent l’un et l’autre des départemens bas-bretons. Non pas que toute ressemblance cesse avec la Basse-Bretagne. Surtout certaines parties en rappellent soit les mœurs, soit les cultures, mais on est là beaucoup plus près du mouvement de la France. Elle a toujours plus ou moins entraîné ces contrées dans son orbite. Nantes, grande ville de commerce, Rennes, grande ville de magistrature et d’études, et autrefois centre politique par son célèbre et orageux parlement, n’ont pas d’analogues dans la Basse-Bretagne. Or la vie se communique toujours, dans une certaine mesure, des villes aux campagnes, et, si l’industrie et le commerce sont des rivaux pour l’agriculture, ils lui sont aussi des auxiliaires. C’est surtout à Nantes et à la Loire-Inférieure que s’applique cette observation. Les grands propriétaires résident en plus grand nombre que dans les départemens voisins. Aussi y ont-ils en général plus d’influence. Les petits propriétaires semblent depuis une dizaine d’années plus disposés à vendre qu’à acheter. Les diverses circonscriptions du département offrent d’ailleurs des caractères fort distincts quant à l’état de la propriété et à la condition des exploitans. L’arrondissement de Chateaubriant est le plus pauvre. On ne saurait pourtant appeler misère cette pauvreté. Un beau pays, une subsistance assurée par le partage à mi-fruit, peu de besoins, un régime suffisant et salubre, comme nourriture et logement, y rendent l’existence assez douce. Sur ce fond un peu arriéré comme agriculture ressort le canton de Nozay, plus avancé, grâce à la ferme-école de Grandjouan, qui a donné des exemples d’exploitation suivis à l’alentour. Malgré ces progrès, la valeur de l’hectare ne dépasse