y prime l’agriculture, si bien qu’on est porté parfois à oublier les habitans pour les lieux, les intérêts du moment pour les souvenirs antiques. Mais si on ressent cette impression devant les longs alignemens de menhirs et de dolmens qui semblent posés là, on ne sait depuis quand, par la main de géans, si la pensée est tentée de s’arrêter anxieuse en face de ces pierres colossales aux dessins mystérieusement symboliques qui ne diront peut-être jamais leur dernier mot aux Champollions de l’archéologie celtique, le présent reprend ses droits là aussi, et les problèmes d’avenir le disputent à l’irritante curiosité qui s’attache aux énigmes désespérantes du plus lointain passé. C’est de la même façon que les sites sévères et historiques d’Auray et de Quiberon reportent un instant nos souvenirs sur les drames de l’époque révolutionnaire ; mais les paisibles préoccupations des intérêts ruraux, à la vue des moissons qui croissent sur ces champs consacrés par l’histoire, nous invitent à chercher la vie sur cette poussière des morts. Le Morbihan présente un intérêt économique et par les avantages qu’il possède et par ceux qui lui manquent. Une côte bordée de rochers, des gorges profondes, étroites, souvent marécageuses, un sol généralement granitique ou schisteux, presque partout léger, naturellement maigre, une vaste superficie occupée par les landes, — et souvent, à bien peu de distance, des régions d’une admirable fertilité, — telle est cette presqu’île morbihannaise, qui laisse encore à l’agronomie bien des problèmes à résoudre. Les seuls qui paraissent résolus d’une manière complètement satisfaisante sont ceux où la nature a mis surtout sa collaboration et n’a laissé à l’homme d’autre rôle que de profiter de ses avances. C’est le cas des heureuses régions qui avoisinent le golfe du Morbihan. Aux beaux jours d’été, lorsqu’un soleil éclatant brille dans un ciel ordinairement gris et brumeux, le ciel breton pour tout dire, les chênes-liège, les figuiers et toute une flore qui semble ici dépaysée, peuvent produire l’illusion du un li. La presqu’île de Rhuys, dans la rude et sèche région de Vannes, est faite pour satisfaire l’agriculteur autant que le paysagiste qui contemple ses bords baignés par la mer, quelquefois bleue et douce comme la Méditerranée. C’est dans l’île de Rhuys que, vers le milieu du VIe siècle, saint Gildas le Sage, « le saint Jérôme de la Bretagne, » comme disent les hagiographes, vint fonder la communauté que devait gouverner un jour Abélard. C’est dans l’île de Rhuys qu’est Sarzeau, qui produit le meilleur blé de Bretagne, et à qui échut la gloire toute différente d’avoir vu naître un des plus français de nos prosateurs, l’auteur de Gil Blas. On trouvait naguère à Sarzeau des forêts d’une grande antiquité. La propriété rurale s’en est emparée pour les planter en vignes, qui jouissent d’une estime relative et donnent un assez bon revenu. La
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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.