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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

écart suffisant, ne savait ni renverser la terre ni la ranger convenablement. À cet instrument défectueux qui rendait tous les mouvemens difficiles et qui exigeait beaucoup trop de bras pour le conduire et de chevaux pour le tirer, on opposait déjà l’araire Dombasle. La fabrication des instrumens agricoles commençait, mais à peine, à se répandre dans la province. Entreprise en grand près de Rennes par M. Bodin à la ferme des Trois-Croix, elle expédiait des instrumens aratoires dans les parties les plus avancées de la province et frayait la voie à d’autres entreprises analogues, jusqu’à ce que la fabrication, pour satisfaire à des besoins plus étendus, fût faite aussi par des forgerons de campagne. Les paysans étaient hostiles aux machines agricoles, comme ailleurs les ouvriers aux machines industrielles. À Pont-l’Abbé, le premier instrument de fer s’étant rompu sur le domaine de M. du Chatellier, ce fut une joie pour la routine. La première machine à battre à vapeur introduite dans les Côtes-du-Nord fut détruite par les paysans. L’intérêt seul devait forcer les derniers retranchemens de cette obstination routinière. L’élévation des fermages obligea l’exploitant à recourir aux méthodes les plus économiques. Les conseils et les exemples donnés par les fermes-écoles, l’initiative de quelques grands propriétaires aidèrent à propager un mouvement ralenti toutefois pour nombre de propriétaires pauvres par la nécessité d’user l’ancien matériel. La population rurale apprit peu à peu à connaître, outre les différentes sortes de charrues, les herses qu’on appelle herses Valcourt, les rouleaux de granit, l’extirpateur, le scarificateur, la fouilleuse, les semoirs, les ventilateurs et cette machine à battre qui fonctionne à peu près partout aujourd’hui. On doit signaler aussi le terrain conquis par l’assolement à terme. Il y a une quarantaine d’années, ce mode d’exploitation, qui supprime la jachère par une succession habile de cultures diverses, était repoussé par la vieille habitude bretonne de semer plusieurs années successivement du sarrasin, du froment, de l’orge ou de l’avoine, et de laisser ensuite la terre en friche pendant trois, quatre, cinq ans et même plus encore. On estimait l’étendue de terrain ainsi mise en jachère, chaque année, dans toute la Bretagne, au tiers de celle des terres arables, c’est-à-dire, à la date de 1840, à 429,000 hectares sur 1,252,000. Les paysans comprirent enfin que c’était, non une vaine théorie, mais l’expérience qui démontrait que, pour obtenir de nouveaux produits, il suffisait d’entremêler, parmi les récoltes de grains, quelqu’autre plante, le navet, la betterave, mieux encore, le trèfle, qui donne un fourrage abondant. On abusait de l’écobuage, et, en fait d’engrais, on n’utilisait guère que quelques bancs de marne et la chaux qui s’offrait dans certaines localités, comme aux environs de Dinan ou de Rennes ; on employait habituellement les herbes des