Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordinaire de l’opposition, le refus de crédits, fut employée sur une large échelle. M. Sverdrup déclara ouvertement, le 26 avril, à propos de la discussion du budget de la marine, que tous les budgets seraient désormais réduits au strict indispensable et que les propositions de réduction qui venaient d’être présentées pouvaient être considérées comme un programme : « Il est de toute évidence que le nouveau ministère ne peut pas gouverner avec cette assemblée. S’il veut s’y soumettre, comme la constitution et la nécessité l’y forcent, on pourra chercher à composer un ministère en état de collaborer avec nous. Le ministère actuel ne le peut pas. Telle est à mes yeux la quintessence de la proposition et de tout ce débat; cela signifie que, dès à présent et jusqu’à la clôture de la session, tous les budgets seront soumis à un contrôle minutieux, et qu’il ne sera accordé de crédits que le nécessaire pour les besoins absolus du pays, son développement matériel et sa culture intellectuelle. »

Un député, M. Konow, imagina un autre procédé. L’article 75 de la constitution autorise le storthing à demander des explications à tous les membres de l’administration. Depuis 1814, cet article était resté lettre morte. On trouva un prétexte pour en user contre les ministres. Le bruit courait que, le jour où la haute cour avait rendu son arrêt dans le procès Selmer, le gouvernement avait fait des préparatifs militaires. Le storthing en prit occasion pour citer devant lui M. Dahl, ministre de la guerre, et lui demander des explications. Il comparut en séance, et des questions lui furent posées par le président. Comme ses réponses ne furent pas jugées satisfaisantes, le storthing cita le major-général Munthe, qui s’excusa sur sa santé et répondit par lettre. Le but avoué de cette enquête était de traduire de nouveau devant la haute cour MM. Schweigaard, Johansen et Hertzberg, sous l’inculpation d’une tentative de coup d’état, et de les faire condamner à la détention dans une forteresse. On annonçait d’ailleurs l’intention d’user et d’abuser de l’article 75 pour tenir les ministres sur la sellette, en attendant une nouvelle accusation du ministère entier devant la haute cour, ce qui n’était qu’une affaire de temps.

Dès la fin de mai, on sentait que les jours du ministère étaient comptés. Le roi, qui avait quitté Christiania après la crise du mois d’avril, y revint le 5 juin, décidé à entrer en négociations avec les chefs de l’opposition. Diverses combinaisons furent proposées. Enfin le 23 juin, le roi fit appeler M. Sverdrup; le 26, le nouveau ministère était constitué. M. Sverdrup était ministre d’état en Norvège, c’est-à-dire premier ministre. Ses collègues étaient tous des hommes de la gauche. Le jour même, ils donnèrent leur démission de membres du storthing. La Norvège avait son « grand ministère. »

Ce n’était pas un simple changement de politique : c’était une