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mots d’avoir inauguré une politique de combat, et protesta de ses constans et patriotiques efforts pour ramener l’entente et la concorde entre tous les pouvoirs publics.

L’argumentation de la défense avait été si serrée et la plaidoirie si éloquente qu’on put se demander un instant ce que serait l’arrêt. Ce fut une condamnation. Le 27 février, M. Selmer était condamné à la destitution et aux frais du procès, y compris les honoraires des avocats de l’accusation fixés à 15,000 kroner (21,000 francs.)

Les autres ministres étaient jugés d’avance. Pourtant, lorsque les débats s’engagèrent sur le second procès, celui de M. Kjerulf, l’avocat de la défense, M. Bergh, proposa de nouveau la récusation de plusieurs des membres de la cour, mais par un nouveau moyen. Depuis les élections de 1883, il s’était fondé au sein du storthing un « groupe de gauche » dont les délibérations avaient été tenues secrètes, mais dont le but et les tendances n’étaient un mystère pour personne. Ce groupe s’était proposé pour programme de maintenir et de faire triompher le principe de la résolution du 9 juin et d’utiliser à cet effet «l’arme acérée de la haute cour. » Il avait préparé et dirigé dans cet esprit le choix des membres du lagthing, pour composer une haute cour « sûre. » Les hommes qui avaient ainsi, ouvertement, fait de la cour un instrument politique et une machine de guerre pouvaient-ils siéger comme juges dans cette même cour? Ce n’étaient plus seulement les hommes politiques qu’on récusait, c’étaient des hommes de parti qui avaient condamné les accusés avant de les entendre. Il était malaisé de repousser directement ces conclusions, mais on les éluda. Les procès-verbaux des réunions du groupe n’étaient pas publics ; on ne les connaissait que par les indiscrétions des journaux. La défense demandait à la cour d’en ordonner l’apport et sollicitait en outre chaque membre de la cour, individuellement, de déclarer sa participation aux décisions du groupe. La course contenta « d’inviter » l’avocat du ministre à produire les procès-verbaux en question. Comme on pouvait le prévoir, le groupe répondit à la demande de communication de M. Bergh par un refus.

Le 13 mars, M. Bergh prit texte de ce refus pour une sortie véhémente. Comment les membres de la cour comprenaient-ils leurs devoirs de juges s’ils refusaient de fournir des éclaircissemens sur un point aussi capital, et que devenait leur autorité s’ils ne savaient pas en exiger? « Quand un tribunal en est venu là, s’écria-t-il en terminant, il n’y a plus de place pour la défense. Le rôle de la défense devient impossible, car ce n’est plus une défense contre une accusation, c’est une défense contre des juges... Il ne me reste, comme défenseur, qu’à protester au nom de l’équité contre une pareille façon d’administrer la justice. Le ministre accusé, ici présent,