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résolution qui venait de subir un refus de sanction était dans les conditions voulues. Elle avait été votée trois fois, sans changemens, en 1874, 1877 et 1880. M. Sverdrup proposa au storthing de déclarer qu’en vertu de ce vote réitéré, la résolution avait force de loi constitutionnelle pour le royaume de Norvège. Les débats mémorables qui s’engagèrent sur la question durèrent trois jours et six séances. Le 9 juin, à onze heures du soir, la proposition était adoptée par 74 voix contre 40.

La décision du 9 juin était un événement grave et gros de conséquences. Commençons par dire que la question qu’elle tranchait est des plus controversées et la solution des plus contestables. Si le roi n’a qu’un veto suspensif à l’égard des lois, en est-il de même des dispositions constitutionnelles? Le storthing peut-il, sous la seule condition d’y mettre quelque patience, se passer de l’assentiment royal pour changer la constitution? Nous nous garderons d’entrer ici dans les discussions passionnées qu’a soulevées cette célèbre question du veto. On a écrit des bibliothèques sur la matière, depuis quatre ans, en Norvège et hors de Norvège. Le texte de la constitution a reçu des commentaires à perte de vue. La constitution laisse assurément autant à désirer comme rédaction que comme contenu : pourtant le texte, sainement entendu, n’offre pas de grandes obscurités, et ce n’est que par un abus d’interprétation qu’on a pu y trouver l’attribution au storthing d’un droit aussi exorbitant. Mais, toute question de texte à part, le bon sens suffit à faire comprendre qu’une constitution monarchique ne saurait être modifiée du seul fait d’une assemblée. Quelque limité que soit le pouvoir du roi, il est de l’essence de ce pouvoir que la constitution ne puisse être faite ni défaite que de son assentiment. Un des pouvoirs publics ne saurait, de sa seule autorité, élargir ses attributions aux dépens de l’autre. Les partisans de M. Sverdrup soutiennent, il est vrai, que le storthing représente le peuple souverain et que l’autorité royale n’est respectable que tant qu’elle agit de concert avec la volonté nationale. Après cela, ils se défendent de viser à la république. Leurs intentions sont droites, nous nous garderons d’en douter, mais leurs théories sont franchement républicaines.

Elles vont même plus loin encore. La Norvège, on le sait, est unie à la Suède par un lien très faible. C’est une union purement personnelle : les deux nations n’ont de commun que le roi. S’il vient à être reçu en principe qu’en Norvège la constitution peut changer sans que le roi soit consulté, si la puissance royale y est annihilée, que devient l’union? Le parti vainqueur a beau repousser comme une calomnie la pensée de se séparer de la Suède, il y