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plus haut, mais leurs passions étaient violentes; il ne devait pas être difficile à des ambitieux d’utiliser ces passions pour leur imposer un programme qui n’était pas le leur et auquel ils n’auraient pas songé d’eux-mêmes.

Des prédications populaires de tendances très diverses, dont les débuts remontent à la veille de 1848, contribuèrent à agiter violemment les esprits et semblèrent donner un aliment aux aspirations un peu vagues des Gaardbruger. Ce furent d’abord les doctrines socialistes. Le socialisme ne trouvait pas en Norvège un terrain bien préparé : les masses ouvrières où il recrute ses armées faisaient à peu près complètement défaut. Pourtant les points de la doctrine qui étaient relatifs au partage des terres trouvèrent de l’écho. Une certaine agitation fut entretenue en 1850 et 1851, à la faveur de la crise commerciale, par deux jeunes gens, Thrane et Abildgaard, Il y eut à Christiania une assemblée de socialistes, qui demandèrent en vain à être entendus à la barre du storthing. Le gouvernement dut se décider à la dissoudre. Quelques arrestations et un déploiement de forces militaires en eurent aisément raison. Un mouvement analogue, mais d’une tout autre gravité, s’était produit dès 1845 sous la direction d’un député de l’extrême gauche, Sören Jaabæk. Le socialisme était une doctrine étrangère, qui ne pouvait prendre racine en Norvège. Le a jaabsekianisme » était essentiellement norvégien. Jaabæk avait déclaré la guerre à outrance à toutes les classes éclairées, à tous les gens des villes, à tout ce qui « savait le latin. » Les fonctionnaires, les grands propriétaires, les industriels, les commerçans, étaient tous enveloppés par lui dans la même aversion. Il s’attaquait même à la royauté et ne s’en cachait pas. Ce fut lui qui inaugura le système des refus de crédits et des refus de pensions, qui devint plus tard une des armes de guerre favorites de la majorité. Ce fut lui aussi qui sut le premier se servir de la presse à bon marché. Son journal populaire (Folketidende), fondé en 1865, ne tarda pas à pénétrer dans toutes les campagnes, où son influence fut bientôt sans rivale.

Outre ces prédications directes, les esprits étaient encore travaillés par les efforts de gens d’ailleurs bien intentionnés et croyant poursuivre un but plus national que politique. On sait le développement qu’a pris en Norvège l’instruction primaire. Il a été rendu compte, dans cette revue même[1], de l’institution, toute spéciale au Danemark et à la Norvège, des hautes écoles populaires (Folkhöjskoler) dont l’idée était due au célèbre Grundtvig. L’institution

  1. Une Secte religieuse et politique au Danemark : Grundtvig et ses Doctrines, par M. G. Cogordan, 1er février 1876.