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propriétaires, fort éloignés de jouer le rôle de révolutionnaires et de chefs de parti. Il fallut vingt ans aux habitans des campagnes pour comprendre qu’avec quelque discipline électorale ils pouvaient être les maîtres. Les élections de 1833 renversèrent brusquement les proportions des partis : quarante-cinq sièges au lieu de vingt appartenaient aux paysans. Ils avaient la majorité, et en même temps ils trouvaient un chef dans la personne d’un nouveau député qui venait d’être élu par le district de Stavanger, Ole Gabriel Ueland.

Né le 28 octobre 1799, Ueland était depuis l’âge de dix-huit ans instituteur dans une école ambulante. Il quitta son école pour entrer au storthing. C’était un homme d’une instruction rudimentaire et sans talens oratoires. Il avait affaire à forte partie : les membres de la minorité avaient une expérience, une influence personnelle et une science des affaires bien autres que les obscurs députés des campagnes. Malgré toutes ces difficultés, il sut prendre la direction de l’opposition et grouper autour de lui les hommes de la majorité en leur désignant l’ennemi à combattre. L’ennemi, c’était le fonctionnaire. Ueland avait pour mots d’ordre la destruction de la bureaucratie et l’économie dans les dépenses publiques, ce qui, en bon norvégien, signifiait que le gouvernement devait appartenir à la majorité, et que l’administration devait passer aux mains du parti qui avait triomphé dans la lutte électorale. Mais Ueland ne voyait pas distinctement les conséquences pratiques de ses doctrines, ni surtout le moyen d’assurer la victoire définitive. Il pensait pouvoir arriver à tout avec la constitution, dont il était un des défenseurs les plus convaincus. Il n’était pas de taille à monter à l’assaut du pouvoir, mais il sut créer et organiser l’armée qui, sous un autre chef, était destinée à vaincre.

Quelles étaient exactement les aspirations de ce parti des paysans, les objets précis de ses revendications? C’est ce qu’il est difficile de dire. Ce n’était point l’esprit libéral qui l’animait, et encore moins l’esprit de réforme : les lois qui ont aboli l’exclusion des juifs, élargi la tolérance religieuse, ont passé contre ses votes ; la refonte du code pénal en 1842, et tous les monumens législatifs qui signalent cette période, sont dus aux légistes de profession, aux membres du « parti des fonctionnaires, » et spécialement au plus illustre d’entre eux, Antoine-Martin Schweigaard. Les visées des paysans étaient beaucoup plus étroites. Dépourvus de tout sens pour les grands intérêts du pays, et ne retenant de la politique que ce qui les touchait de près, ils demandaient la réduction du budget et la destruction des fonctionnaires, parce que le budget se traduit en impôts et que les fonctionnaires vivent du produit de l’impôt prélevé sur le propriétaire. Leurs théories ne s’élevaient pas beaucoup