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d’être propriétaire d’une terre cadastrée, ou même de l’avoir affermée pour plus de cinq ans par un bail d’une nature particulière, très répandu en Norvège, qu’on appelle bygsel et dont le trait principal consiste en ce que le prix de ferme est payé d’avance. On pensait que cette rédaction écarterait tous les propriétaires qui n’ont pas d’exploitation agricole à proprement parler, qui ne vivent pas de la terre. La suite a montré combien on s’était trompé. En 1814, on ne cadastrait que les terres ayant quelque valeur; depuis, des lois nouvelles, et spécialement une loi du 6 juin 1863, ont décidé qu’on cadastrerait jusqu’aux plus petites parcelles. Il est devenu facile d’être électeur à bon marché, et on en a profité.

Par une contradiction singulière, tandis que l’assemblée abolissait le minimum dans les campagnes, elle le maintenait dans les villes. Le droit de suffrage n’y était accordé qu’aux fonctionnaires ou aux bourgeois propriétaires d’un immeuble valant au moins 300 rixdaler (environ 800 francs). On avait proposé de faire une dernière classe d’électeurs composée des capacitaires, mais l’amendement fut repoussé. Il faut dire qu’en 1814 les capacitaires étaient fort peu nombreux et se rangeaient presque tous dans les catégories précédentes.

Enfin, au lieu de remettre la révision ou la modification de la constitution à une assemblée constituante spécialement nommée à cet effet, comme faisait le projet Adler et Falsen, la constitution se bornait à exiger que les modifications fussent votées aux deux tiers des voix et qu’il y eût une élection entre la proposition et le vote.

Telle était cette constitution de 1814, qui avait le tort irrémédiable de placer le gouvernement en face d’une assemblée unique, nommée à un suffrage presque universel et armée des pouvoirs les plus étendus, sans lui permettre de négocier avec cette assemblée par l’organe d’un ministère pris dans son sein et sans lui laisser d’autre moyen de défense que le refus de sanction, et encore en des termes qui ont soulevé, nous allons le voir, d’inextricables discussions. Il est à peine croyable qu’une œuvre aussi imparfaite ait trouvé des admirateurs et que, pendant un demi-siècle, elle ait été, par toute l’Europe, prisée comme un chef-d’œuvre et citée comme un modèle.

Les premières années de l’histoire constitutionnelle de la Norvège, il faut le dire, prêtaient à l’illusion. Le pays se relevait lentement de la détresse où la guerre l’avait jeté. Tous les partis semblaient d’accord pour ne pas toucher à l’arche sainte de la constitution née avec l’indépendance, dont elle semblait la garantie la plus assurée. Les vices ne s’en étaient pas encore révélés. L’inexpérience même des hommes qui la mettaient en pratique, — disons aussi leur loyauté et leur bonne foi, — permettaient de passer sur