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même que l’on s’est placé aux sommets de l’art, du goût et de la science, il faut tenir compte du prix de revient, et ce prix de revient ne résulte pas seulement des conditions artistiques ni des circonstances économiques; il se compose, pour une forte part, des qualités morales, nous oserons dire de la vertu du patron et de la vertu de l’ouvrier. Vainement vous ouvrirez des musées et vous multiplierez les écoles; vainement vous créerez des cours supérieurs, secondaires et primaires pour l’enseignement national du dessin, avec les meilleures méthodes, avec les maîtres les plus habiles; vainement vous sèmerez par tout le territoire, pour les différentes industries, des écoles professionnelles. Ces musées et ces écoles de tout ordre demeureront stériles si les ouvriers ne les fréquentent pas, s’ils n’y apportent pas l’assiduité et l’ardeur nécessaires, s’ils ne conspirent pas avec l’état et avec les patrons au succès de l’industrie française. Vainement encore obtiendrez-vous des ouvriers comme des patrons l’empressement à s’instruire s’ils ont les uns ou les autres, et à plus forte raison tous les deux, d’excessives prétentions à la rémunération et au salaire, s’ils se créent des habitudes d’existence qui exagèrent les besoins du bien-être. Ils seront vaincus, malgré leur science et leur goût, ils seront inévitablement vaincus par les concurrens plus modestes, plus ordonnés, plus laborieux, qui auront l’ambition moins prompte et se contenteront de moindres salaires. C’est la loi de la concurrence. Or les procès-verbaux de la commission d’enquête constatent que trop souvent, à Paris même, les ouvriers français dédaignent les moyens d’instruction qui sont à leur portée et que les ouvriers étrangers sont relativement plus assidus dans nos écoles. Ils constatent également que l’élévation croissante des salaires coïncide avec un certain abaissement du savoir professionnel et avec la production d’une moindre quantité de travail. S’il fallait en croire quelques industriels, la hausse du prix de revient ne tarderait pas à nous fermer tous les marchés; les industries artistiques finiraient, comme les autres, par y succomber.

Les mœurs déclinent. Voilà certes le symptôme le plus grave, qui nous est, non pas révélé, mais confirmé par l’enquête sur la situation des industries et des ouvriers d’art : voilà le sérieux péril qui menace ces industries et ces ouvriers. Attendons, pour être complètement éclairés sur les conditions du travail en France, la fin de la grande enquête qui se poursuit devant la chambre des députés. C’est la question la plus considérable de notre temps.


C. LAVOLLEE.