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de la pierre qu’il est chargé de fouiller; ils énumèrent les notions multiples et spéciales que chaque genre de travail exige de l’ouvrier, notions qu’un enseignement général et superficiel ne pourrait donner. — Mais alors, répondent les seconds, c’est aboutir à l’impossible. Comment fractionner à ce point l’enseignement? où trouver les ressources pour créer autant d’écoles professionnelles qu’il y a d’industries différentes? Ne vaut-il pas mieux organiser l’enseignement par groupes d’industries similaires, de telle sorte que l’élève ne soit point rivé à un genre unique de travail, qu’il puisse se mouvoir dans un cercle plus étendu, et qu’il soit capable, par exemple, d’être tour à tour, suivant son intérêt ou selon les besoins du marché, tapissier ou ébéniste? — Y pensez-vous ! s’écrie un maître tapissier. Il n’y a pas le moindre rapport entre un tapissier et un ébéniste. Un bon ébéniste ne fera pas un bon tapissier. C’est l’eau et le feu. Et même, dans la tapisserie, que de nuances, combien de différences! Il y a tapissier et tapissier. Je suis un classique; le plus distingué de mes confrères est un romantique. Nos ouvriers, c’est-à-dire nos artistes, doivent être d’espèce toute différente. Avec l’enseignement banal, avec l’école commune, notre industrie serait perdue. Le classique et le romantique s’énerveraient dans la bâtardise. — Ces protestations quasi éloquentes montrent ce qu’il peut entrer de fanatisme dans la pratique de certains arts industriels. La tapisserie veut être autonome. L’ébénisterie n’a sans doute pas une moindre ambition. Comment les mettre d’accord? Comment réunir dans la même école, devant les mêmes modèles, ces artistes ennemis? Chacun prêche pour son art, chacun veut son école ; les bonnes raisons ne manquent pas pour cette division, pour cette distinction de l’enseignement; mais, quand on arrive à l’exécution, à la pratique, cet éparpillement des forces et des ressources enseignantes devient le plus souvent impossible. Il faut s’en tenir, cela est évident, à un certain nombre d’écoles professionnelles qui, par l’enseignement commun du dessin et de l’ornementation, préparent les ouvriers à l’exercice des professions où le sentiment de l’art, le goût, l’habileté de main sont nécessaires. Nous possédons un certain nombre de ces écoles. On espère que les syndicats de patrons et d’ouvriers, constitués en vertu de la nouvelle loi, s’empresseront de les multiplier. C’est peut-être une illusion. En tous cas, la plupart des déposans ont demandé à la commission d’enquête que l’état et les villes fassent de plus grands sacrifices pour doter l’enseignement professionnel. C’est le budget, et toujours le budget, qui est appelé au secours de l’industrie artistique. Des écoles et des millions!

Plusieurs membres de la commission, en réponse à ces demandes,