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telle ou telle femme pourra devenir rapidement une éventailliste. « Il faut reconnaître que l’industrie des éventails est vraiment privilégiée, si les ouvriers habiles lui sortent de dessous terre et si les bonnes ouvrières se recrutent au toucher. Ne prenons, dans ces deux dépositions, que le témoignage, un peu exagéré peut-être, du talent naturel, de la faculté d’assimilation qui distingue l’ouvrier français, et qui se rencontre dans tous les ateliers de l’industrie artistique. Aucun autre avantage ne vaut ce premier élément de production. Quand on le possède à la plus haute puissance, on est armé pour vaincre les concurrens. Il ne s’agit plus que d’entretenir ce goût supérieur, de l’élever sans cesse vers la perfection, de renforcer les cadres et les rangs des ouvriers d’élite, dont l’intelligence est si bien disposée à recevoir et à féconder l’enseignement qui lui sera donné. Aussi est-ce dans ce sens que la commission d’enquête a particulièrement dirigé ses études. Tout en constatant les faits industriels, c’est-à-dire les progrès du travail mécanique, les conditions de la main-d’œuvre, le taux des salaires, la concurrence de l’étranger, c’est à la question de l’enseignement qu’elle a cru devoir accorder le plus d’attention. Elle a recueilli sur ce point des informations nombreuses ainsi que des avis très variés, et elle a présenté, par l’organe de son rapporteur, M. Antonin Proust, des propositions dignes d’examen.


II.

Cette question de l’enseignement à l’usage des artistes, des contre-maîtres et des ouvriers n’est pas aussi simple qu’elle le paraît au premier abord. On peut en juger par les avis contradictoires qui ont été exprimés devant la commission. Le dessin est, de l’aveu de tous, la base de l’enseignement. Le dessin, a dit M. Duruy, est « l’écriture de l’industrie. » Faut-il donc l’enseigner, comme la lecture et l’écriture, dans toutes les écoles primaires? C’est ce qu’ont demandé plusieurs déposans. D’autres ont émis le vœu qu’un atelier d’art industriel, comme un atelier de travail manuel, soit annexé à un grand nombre d’écoles, afin que les enfans et les jeunes gens destinés à devenir ouvriers reçoivent à la fois l’enseignement théorique et l’instruction pratique. Quelques-uns se contenteraient d’une organisation plus étendue de l’enseignement professionnel, au moyen d’écoles spéciales destinées à former les ouvriers d’art, soit pour chaque branche d’industrie, soit pour les groupes d’industrie qui comportent les mêmes procédés de travail. Il en est enfin qui n’admettent l’enseignement que par l’atelier et dans l’atelier, considérant que l’apprentissage amélioré et garanti serait préférable aux écoles