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d’autres, étaient protégés à la frontière contre leurs concurrens étrangers par un droit de 50 pour 100, — pourquoi pas la prohibition? — leur situation et celle de leurs ouvriers s’en trouveraient bien. Mais conviendrait-il au consommateur français, et serait-il d’intérêt général et national, que les produits fussent payés en France le double de ce qu’ils valent en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, partout? La protection accordée à quelques-uns coûterait à tous beaucoup trop cher. Au surplus, ce n’est point avec le secours des tarifs de douane que les principales industries artistiques peuvent se soutenir et prospérer. Il vaut mieux chercher ailleurs le stimulant pour leur progrès et le remède à leur défaillance. La commission ne s’est point arrêtée à l’examen de cette question de la protection et du libre-échange; elle a jugé avec raison que les produits artistiques ne se cotent pas à la douane, que l’œuvre d’art échappe à l’action d’un tarif et que, dans les luttes de la concurrence internationale, l’honneur, sinon toujours le profit, appartiendra au pays qui saura le mieux développer en lui-même ou s’approprier les qualités supérieures, appliquées au génie de l’invention, à la pureté du goût et à la perfection du travail. La question du prix de vente, si importante qu’elle soit, ne vient ici qu’au second rang.

Or l’enquête démontre une fois de plus, par le témoignage de tous les déposans, même de ceux qui s’expriment en termes découragés sur l’avenir de leur industrie, l’enquête démontre que, sous le rapport de l’invention, du goût et de la perfection du travail, la France possède encore les meilleurs élémens, c’est-à-dire les artistes et les ouvriers les plus habiles. Il est bien vrai que, dans son application à l’industrie, l’art français a conquis le monde. Cet hommage nous est rendu par les étrangers qui nous imitent et nous copient. L’art et le goût sont, en quelque sorte, des produits du terroir français, et ils ne se transplantent pas en s’expatriant. L’ouvrier étranger qui est venu s’instruire à Paris ne conserve pas, au-delà de la frontière, le sentiment ni le tour de main acquis dans nos ateliers. L’ouvrier français qui a été attiré à l’étranger perd en peu de temps l’originalité et l’inspiration. Sur ce point, l’enquête a constaté nombre de faits observés dans les différentes industries. « Le goût de nos artistes et ouvriers français, dit un fabricant d’éventails, est une chose inconsistante, fluide, qui s’acquiert par approches et qui semble sortir des pavés... » Le goût des ouvrières n’est pas moins inné. « Nous sommes ici, dit un autre fabricant, dans un milieu intelligent. Nous faisons venir souvent des femmes qui n’ont jamais fait le métier, nous les scrutons; c’est une question de tact de la part du fabricant que de savoir si