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Obligée de se défendre contre le renchérissement de la production, l’industrie française se voit en outre condamnée à lutter, à l’étranger, contre les tarifs de douanes. Le grand marché américain, qui était autrefois si largement ouvert, est aujourd’hui fermé par des taxes de 40 à 50 pour 100. Les États-Unis semblent vouloir appliquer aux produits, comme à la politique de l’Europe, la doctrine de Monroe. C’est une triple question d’amour-propre, de protection du travail rational et de fiscalité. Si l’Angleterre, fidèle aux principes du libre échange, continue à recevoir presque en franchise la plupart de nos produits d’art, elle est parvenue à diminuer l’importance de nos ventes sur son marché soit en fabriquant elle-même ce que nous lui fournissions naguère, soit en accordant aux produits allemands une préférence justifiée par un mérite presque égal et par l’avantage du bas prix. Quant à l’Allemagne, dégagée des obligations que lui créaient les traités de commerce et demeurée maîtresse de ses tarifs, elle a usé de cette liberté pour relever les droits de douane, et comme les produits artistiques, considérés comme articles de luxe, se prêtent plus que tous autres à l’application des taxes fiscales, elle a établi sur nos produits des tarifs plus ou moins élevés qui opèrent en même temps comme instrumens de protection. De même en Suisse, en Italie, en Espagne. Les gouvernemens obérés battent monnaie avec la douane et se font de plus en plus protectionnistes pour le salut du budget. De là un grave dommage pour l’industrie française, combattue tout à la fois par la concurrence intérieure et par les tarifs étrangers.

En pénétrant plus avant dans les détails, on observerait d’après l’enquête l’influence que la forme du gouvernement et certains actes de la politique peuvent exercer sur divers groupes d’industrie. En l’état monarchique, la cour et l’aristocratie entretiennent et propagent le goût du luxe, elles donnent le ton et l’exemple, elles favorisent ainsi la consommation des produits qui relèvent de l’art et du faste. Une république, si athénienne qu’on la suppose, sera toujours à cet égard fort dépourvue. Ce n’est point qu’elle manque de courtisans, mais elle manque de cour, c’est-à-dire du marché où s’étalent avec le plus de succès les articles de luxe. La république n’en vaut ni plus ni moins pour cela, et il est permis à ses partisans de ne point regretter cette lacune. On s’explique seulement qu’au point de vue de leur intérêt spécial quelques industries soient disposées à porter le deuil de la monarchie. Voici, par exemple, les fabricans de broderies, de dentelles, etc. Ils rappellent que le grand Colbert, après avoir fait venir de Venise les premiers ouvriers en dentelles, n’aurait point réussi à naturaliser cette industrie en France si les dames de la cour ne l’avaient pas prise sous