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une agilité de main qui égale la dextérité des ouvriers les plus habiles; ce sont les femmes qui ont composé, à l’imprimerie Firmin-Didot, la grande collection des classiques grecs. — Que les ouvriers y prennent garde. Les femmes commencent à tenir une grande place dans le travail manuel, et cet empiétement, que l’on ne saurait qualifier d’usurpation, se manifeste principalement dans les industries artistiques, où la supériorité de la main-d’œuvre consiste dans le goût et dans la finesse de l’exécution.

Il paraît certain, d’après l’enquête, que l’emploi des ouvriers étrangers et des femmes est très souvent imposé aux patrons par l’impossibilité de recruter et de retenir en nombre suffisant les ouvriers dont ils auraient besoin. La question des salaires n’a pas été, comme on le prétend, la cause unique, ni même la cause déterminante de cette répartition de la main-d’œuvre, mais elle y a nécessairement contribué, car les industries d’art sont soumises, comme les industries les plus vulgaires, aux conditions générales qui règlent le prix de revient des produits, et elles ont à compter avec le taux des salaires. Il est donc intéressant de consulter sur ce point les indications fournies par l’enquête. La hausse des salaires est constatée dans toutes les branches d’industrie; il ne faut donc pas s’étonner qu’elle se soit produite d’une manière très sensible dans les industries d’art, qui emploient des ouvriers d’élite. Les salaires de 10, 12 et même 20 francs par jour ne sont pas rares dans les ateliers de sculpture, de céramique, de verrerie, d’ébénisterie. D’après les dépositions des patrons, l’augmentation, depuis vingt ans, serait de près du double. Il est vrai que ces salaires élevés sont exposés à de fréquentes interruptions, la vente des produits artistiques étant elle-même fort irrégulière. La commission n’avait point d’ailleurs à décider si la rémunération de la main-d’œuvre est exagérée, comme le disent les patrons, ou insuffisante, comme le déclarent les ouvriers. Cette question ne peut se régler que par la liberté absolue laissée aux deux parties intéressées, les ouvriers et les patrons ayant respectivement le droit d’évaluer, à leurs risques et périls, le prix de la main-d’œuvre. Mais ce qui mérite au plus haut degré l’attention des uns et des autres, c’est la comparaison des salaires français avec les salaires payés à l’étranger, car la concurrence étrangère n’affecte pas moins le travail des ouvriers que le capital des patrons. Or il a été constaté que, dans la plupart des pays, notamment en Allemagne, en Suisse et en Belgique, le taux des salaires pour l’industrie artistique est très inférieur à ce qu’il est en France; d’où il suit que le même produit, fabriqué en France et en Allemagne, par exemple, comporte, du fait de la main-d’œuvre, des prix de revient très différens.