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telle qu’il importe de l’examiner dans les conditions présentes de nos industries d’art comparées avec les industries similaires de l’étranger. L’enquête doit s’appliquer aux patrons comme aux ouvriers.

La personnalité du patron joue nécessairement un grand rôle dans la production si variée et si délicate des objets de goût et de luxe. Le savoir professionnel du patron, c’est-à-dire sa valeur artistique, jointe à la connaissance parfaite des procédés de fabrication, est la première condition du succès. Le sentiment supérieur de l’art, l’originalité et la fécondité dans la conception, l’étude des styles anciens ou modernes et leur application intelligente à l’œuvre qu’il s’agit de créer, le talent de l’exécution pour un travail qui ne supporte pas la médiocrité, tout cela est nécessaire. La commission d’enquête a entendu quelques-uns de ces patrons qui représentent dignement nos industries d’art. Ce sont des industriels émérites et des artistes habiles. On voit par leurs dépositions au prix de quels efforts ils ont su maintenir la supériorité de leurs ateliers et à quel degré s’exerce leur action personnelle sur le travail des artistes et des ouvriers qu’ils emploient. Malheureusement, cette race de patrons devient rare; elle ne se continue pas, et il est à craindre que les nouvelles couches ne remplacent pas avec avantage celles qui disparaissent. L’enquête a relevé les divers motifs qui justifient cette appréhension. D’une part, les ateliers n’ont plus qu’une existence précaire; au lieu de se transmettre comme autrefois de père en fils ou dans la même famille, ils se ferment à la mort ou à la retraite de leur chef, ou ils passent sous la direction de patrons nouveaux qui n’ont point toujours le même intérêt à conserver les traditions auxquelles ces ateliers ont dû leur renommée. Sur quatre cents fabriques lyonnaises, il n’y a pas plus de vingt à trente maisons qui comptent plus de deux générations d’existence. Cette instabilité, qui résulte de nos lois successorales et de l’état des mœurs, est très préjudiciable pour l’industrie. En second lieu, l’intervention des procédés mécaniques a pour conséquence de supprimer ou du moins de diminuer, pour un grand nombre d’objets, le mérite artistique de la production, de telle sorte que la plupart des nouveaux patrons n’ont plus besoin d’avoir et ne possèdent plus effectivement la compétence spéciale qui s’imposait à leurs devanciers, et l’industrie artistique n’est pour eux que l’art de faire fortune avec la vapeur, et à la vapeur, si la chance leur est favorable. Enfin, tous les patrons ont à compter avec les difficultés, chaque jour plus grandes, qu’ils éprouvent dans leurs relations avec les ouvriers; ils se plaignent des grèves, des prétentions excessives de la main-d’œuvre, du régime de l’apprentissage; quelques-uns, les meilleurs, se découragent et renoncent à la lutte. Tels sont, en résumé,