Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvaient s’approprier facilement et elles leur ont fait connaître d’une manière précise les types qui sont préférés dans chacun des pays où ils sont intéressés à vendre ce qu’ils fabriquent. Cet enseignement, qui est réciproque, démontre l’utilité des expositions universelles, surtout pour la France, où les chefs d’industries, moins actifs ou moins curieux, et en tous cas moins avisés que leurs confrères d’Angleterre, d’Allemagne et d’Amérique, n’aiment point à passer la frontière.

Au surplus, les étrangers n’attendent pas que les expositions leur offrent l’occasion facile d’emprunter nos dessins et nos modèles. Un grand nombre des industriels qui ont été appelés devant la commission se sont plaints en termes très vifs des manœuvres à l’aide desquelles leurs concurrens étrangers se procurent les formes et les dessins inventés en France, les copient en toute hâte et viennent apporter sur notre marché les produits dont la conception nous appartient. Ces manœuvres sont, en effet, pratiquées partout à l’encontre de tous les pays. C’est un emprunt, ou, si l’on veut, un pillage réciproque dans lequel perd le plus celui qui a le plus à donner, et la France est évidemment dans ce cas pour les industries d’art. Il existait bien quelques traités conclus avec les principaux états pour la protection des brevets et des marques de fabrique ; mais ces traités demeuraient peu efficaces, à cause des frais et de l’aléa des procès que les industriels lésé» devaient engager à l’étranger contre les contrefacteurs. Il faut espérer que la convention internationale du 20 mars 1883, à laquelle ont adhéré la plupart des gouvernemens, garantira mieux désormais la propriété industrielle ; mais, si parfaite qu’on la suppose, elle ne saurait empêcher absolument l’imitation d’une forme ou d’un dessin. Quelle que soit l’extension donnée au régime des brevets et des marques de fabrique, quelque respect que la législation internationale veuille accorder à ce genre de propriété, il y aura toujours place pour l’imitation intelligente, qui se distingue de la contrefaçon, et pour l’inspiration qui ne se confond pas avec le plagiat. Si nos artistes conservent leur supériorité, les étrangers continueront à imiter leurs œuvres ou à s’en inspirer. Nous aurons l’honneur de subir jusqu’à un certain point le Sic vos non vobis. À quoi bon s’épuiser en récriminations inutiles ? Puisque nous avons la conception et le goût, qui sont en quelque sorte les matières premières des industries d’art, pourquoi n’aurions-nous pas en même temps l’habileté et l’économie de la fabrication ? Pourquoi, artistes supérieurs, ne serions-nous pas également supérieurs pour le travail industriel ? Pourquoi, lorsqu’il s’agit de la vente, laisserions-nous à la copie l’avantage sur l’original ? C’est ici qu’apparaît la question de la concurrence,